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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/270

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sur la terre la Jérusalem céleste ; ils suppriment les frontières qui séparent les peuples, convertissent les Turcs, donnent à la société le véritable point d’appui de sa hiérarchie, et réhabilitent les anges de la terre, personnifiés dans les femmes considérées à tous les âges et dans toutes les circonstances. De plus, ils font disparaître chez les rois les abus de l’autorité, dans la société la misère, dans le ménage l’infidélité, dans le cœur humain les passions. Ils prédisent l’avènement de l’humanité et lui apportent une seconde rédemption en l’affranchissant, dès cette vie, de la lutte et de la souffrance. C’est un nouvel Apocalypse, mais un Apocalyse hétérodoxe, qui nous annonce l’âge d’or pour la fin des temps, au lieu de ce règne de l’antéchrist que la tradition sacrée nous prédit comme une épreuve suprême. L’intention sans doute est excellente, mais supprimez la lutte : où sont les mérites du chrétien ? supprimez la souffrance : où sera le dogme de l’expiation ?

La polémique, pour laquelle les théologiens ont eu de tout temps des sympathies particulières, est à peu près restée aujourd’hui ce qu’elle était dans le passé, la branche la plus stérile de la littérature religieuse sous le rapport intellectuel et moral ; mais, à part ce point de similitude, elle s’est complètement modifiée. Dans le moyen-âge et le XVIIe siècle, les disputes portent avant tout sur le dogme et les mystères ; elles se prolongent pendant plusieurs années, et provoquent souvent une agitation profonde. Aujourd’hui, la polémique des livres ecclésiastiques se rattache plutôt à la politique qu’au dogme, et elle a perdu cette puissance qu’elle avait autrefois d’ébranler l’opinion. Les questions d’ailleurs se succèdent avec une rapidité qui laisse à peine le temps de les débattre. Qu’on examine en effet ce qui s’est passé depuis quinze ans. Quelques ecclésiastiques, obstinés aux vieilles querelles, viennent de loin en loin rompre une lance contre le protestantisme ou contre le fantôme du jansénisme. M. Châtel un instant fait oublier les protestans. M. de Lamennais, à son tour, fait oublier ceux qui parlent ou écrivent à ses côtés. Une rumeur étourdissante s’élève autour des Paroles d’un Croyant. En deux ans, toute cette rumeur est calmée. Vers 1838, les jésuites apparaissent brusquement sur la scène ; les attaques et les apologies se croisent comme au temps des Provinciales ; la question du jésuitisme se complique bientôt de la question de l’éclectisme, de la question du rationalisme, de la question du panthéisme ; enfin, en 1845, le gallicanisme est à l’ordre du jour, et tous ces conflits divers viennent se fondre en se mêlant dans une guerre générale, la guerre de l’enseignement. On exhume les vieux livres, les Monita secreta et toute la casuistique. Des évêques et des romanciers, des professeurs et des pamphlétaires sont en présence, et ce fanatisme rétrospectif, cette agitation pacifique, ces persécutions sans victimes, cette guerre acharnée où les ennemis se touchent la main, montrent après tout le progrès de la raison publique, trop éclairée pour se laisser égarer par de pareilles disputes.

Ainsi, en moins de quinze ans, nous avons vu se débattre sous nos yeux, sans que la paix en fût troublée autrement que par les luttes inoffensives de la plume, ’huit ou dix grandes querelles de théologie, dont la moins ardente aurait suffi autrefois à mettre le royaume en feu. Nous avons vu surgir du choc de ces querelles plus de quatre cents ouvrages ; combien en reste-t-il dont on se souvienne aujourd’hui ? Les morts vont vite ; c’est toujours la devise de notre temps. Ils vont vite en effet, car, en additionnant la moyenne des livres de théologie et