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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/481

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utiles ; il a mis dans l’esprit de la race royale appelée à la gouverner depuis huit siècles une unité de vues sans exemple dans les autres monarchies ; il l’a enfin dotée de la sainte faculté de croire et de se dévouer pour ses croyances. Qu’en se plaçant à ce point de vue, le seul véritable, s’il est une Providence pour l’humanité, on jette un rapide coup d’œil sur la succession de nos annales, et l’on verra les événemens concorder tous vers une même fin, et chaque homme jouer à son insu sa partie dans l’immense concert qui se prolonge à travers les âges.

Lorsque Clovis et les Sicambres se fixent au centre des Gaules, une nuit profonde couvre le monde et dérobe l’avenir à tous les regards ; les flots de l’invasion se poussent les uns les autres, comme ceux d’une vaste mer dont Dieu aurait rompu les digues. Nul ne pourrait pressentir auxquels est réservée la gloire de fonder une nation entre ces nuées de barbares, Huns, Sarmates, Avares, Lombards, Goths ou Germains, qui s’abattent comme des sauterelles sur cette civilisation qu’ils dévorent. Les frontières des peuples ont disparu sous le déluge, et, comme aux premiers jours du monde, une arche mystique flotte seule au-dessus des grandes eaux. Symbole de renaissance au sein de la mort universelle, la barque de Pierre porte les destinées futures des sociétés, car l’unité catholique est le seul principe de réorganisation qui apparaisse alors en Europe. Mais ce principe est gravement menacé par la doctrine d’Arius, sorte de rationalisme philosophique qui aurait desséché dans sa fleur le germe sacré, s’il lui avait été donné de prévaloir contre Rome. Cette secte avait envahi l’Europe et l’Afrique, et les principales nations barbares, devenues les soutiens de l’empire agonisant, avaient embrassé l’hérésie avec une ardeur fougueuse. Cependant, au milieu de cette apostasie du monde chrétien, la Gaule restait catholique inondée du sang des martyrs, catéchisée par l’éloquente parole de pieux évêques et de grands docteurs, elle était devenue le principal boulevard de l’unité religieuse. Pour la mettre en mesure de résister efficacement à l’hérésie, Dieu suscita le bras d’un peuple rude et brave qui n’avait pas encore abjuré le paganisme, mais qui, par ses antipathies contre les autres barbares ariens, devenait l’auxiliaire naturel de l’église catholique en Occident. C’est à ce titre qu’on voit s’établir dans les Gaules, à la fin du Ve siècle, cette confédération des Francs, dont la conquête fut généralement exempte des spoliations et des violences qui, partout ailleurs, avaient suivi les grandes invasions. Un lien commun rattacha promptement les vainqueurs aux vaincus ; avant même que l’eau sainte eût coulé sur la tête de Clovis, il était, comme la plupart des chefs francs, très favorable au clergé catholique, très désireux de se concilier la confiance des chrétiens[1]. Époux d’une pieuse princesse, il promet

  1. Voyez la lettre de saint Remi à Clovis dans Duchesne, Histor. Francorum Scriptores, t. I. p. 849.