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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/486

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L’oeuvre la plus ardue n’était pas pour celle-ci de s’étendre au-delà des limites où la nationalité française se trouvait alors circonscrite la difficulté pour la monarchie naissante consistait à devenir maîtresse du pouvoir et du terrain dans l’intérieur même de ces limites. Le territoire de la France au commencement du XIIe siècle était divisé en domaine de la couronne et en fiefs qui relevaient immédiatement de celle-ci, mais où elle n’était représentée par aucuns officiers royaux. On sait que les rois étaient bloqués dans leur ville de Paris par les puissans comtes de Montlhéry, qui, à l’aide de leur forteresse, coupaient toute communication avec l’Orléanais, et que les sires de Montfort l’Amaury leur barraient également le passage vers le pays chartrain. Personne n’ignore que la possession de Corbeil rendait les seigneurs de cette place maîtres du cours de la Seine et des abords immédiats de la capitale. Les châtelains du Puiset dominaient les plaines de la Beauce et en pillaient les moissons. Aux portes de Paris, les seigneurs de Montmorency, lorsqu’ils faisaient trêve à leurs déprédations contre l’abbaye de Saint-Denis, menaçaient la couronne et la contraignaient à compter avec eux ; plus loin, au nord, s’étendaient les vastes seigneuries de la maison de Coucy ; enfin la présence des rois d’Angleterre dans le Vexin normand, sur la frontière même du Parisis, était un encouragement pour toutes les trahisons, une garantie assurée après toutes les défaites.

À ce point apparaît le premier personnage qui ait nettement dessiné la politique de la France. Louis-le-Gros commence son œuvre de redressement et de haute justice ; il fait la guerre à la féodalité au nom d’un droit supérieur à celui des barons féodaux ; il oppose l’action générale de la royauté aux tyrannies locales qu’il se donne la mission de contenir et de renverser. Pendant que tel seigneur défend sa ville fermée, tel autre son donjon, pendant que les communes s’agitent ici pour suivre l’impulsion du seigneur, ou celle du clergé, là pour vivre de leur vie propre, en conquérant ou en achetant une charte, Louis-le-Gros défend la France, ne guerroie qu’en son nom et n’agit que pour elle.

Ce prince fut inspiré par un homme d’un esprit plus cultivé que le sien, et qui poursuivait par système ce que le vaillant roi faisait par instinct. Cet homme fut le ministre qui, en appliquant les mêmes maximes, eut la gloire de préserver l’intégrité du royaume au milieu des désastres du règne suivant. L’abbé Suger s’était fait sur la royauté une théorie empruntée aux saintes Écritures, il en avait étendu les droits et l’exercice en la faisant émaner d’une source divine. Aussi ses actes, comme ses écrits, rendent-ils témoignage de ses constans efforts pour sceller une étroite alliance entre la monarchie et l’église par l’action de la papauté. C’était rentrer, en les élargissant, dans les voies où avaient marché les fondateurs de la monarchie. Pepin avait ainsi terminé son œuvre, et ce fut sa hardiesse à l’accomplir qui lui mit la couronne