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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/56

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franchit l’enceinte du lycée, pour le précéder dans les salons qui allaient s’ouvrir devant lui. Les relations de son père avec les écrivains célèbres de cette époque, Karamsine, Dmitrieff et Joukovski, ne furent point étrangères à cette précoce réputation. Les vers de l’écolier étaient reçus avec les plus vifs applaudissemens, et, lorsque le jeune auteur se présenta dans le monde, les applaudissemens redoublèrent. Ce fut une véritable ovation, et, l’on pourrait dire, le triomphe avant la victoire.

Quelle était cependant la valeur réelle de ce jeune homme, sorti à peine de l’école, d’où il ne rapportait aucune des études qui, dans nos pays de civilisation latine, sont la condition presque indispensable des succès littéraires ? Pouchkine ne savait rien des littératures anciennes ; quant aux littératures modernes, elles ne lui étaient connues que par quelques auteurs qu’il avait lus à la dérobée. L’histoire n’avait laissé dans sa mémoire que des faits généraux et vagues ; toutes ses connaissances étaient incomplètes : rien, dans son esprit, de lié, de tissu, de coordonné ; mais ce jeune homme avait une imagination ardente, une intelligence merveilleuse, quoique éclairée de mille clartés confuses, un génie moqueur, une verve satirique : il était poète, poète né pour la lutte plutôt que pour la rêverie. Le monde l’accepta ainsi. Pouchkine lui paya sa bien-venue par une sorte de dithyrambe patriotique sur les derniers succès des armées russes et la glorification de l’empereur Alexandre ; après quoi, laissant la poésie venir à ses heures, il ne songea plus qu’à se plonger dans les plaisirs. Les fêtes du monde furent bientôt impuissantes à le satisfaire : il lui fallut l’orgie nocturne, bruyante, effrénée, le jeu avec ses émotions puissantes et fiévreuses, les duels, qui sont aussi un jeu, et qui, pour lui, variaient la monotonie de l’autre. Il aimait les duels : était-il averti par un pressentiment secret, et voulait-il se familiariser avec ce terrible hasard qui devait un jour lui être si fatal ?

La violente nature de ce jeune homme ne tarda pas à se trahir au milieu des salons par d’imprudens discours. Quand une question d’émancipation politique était agitée en sa présence, le chantre de l’empereur Alexandre devenait un tribun dont l’éloquence hardie faisait trembler ses amis pour sa liberté. La Muse ne le visitait plus que pour lui inspirer des chants d’indépendance qu’on ne retrouve point dans ses œuvres, mais que la mémoire des contemporains a retenus. Les craintes de ses amis ne tardèrent pas à se justifier. Pouchkine reçut l’ordre de quitter Pétersbourg. Les provinces méridionales de l’empire lui furent assignées comme lieu de résidence.

En voyant une peine si sévère infligée à Pouchkine pour quelques déclamations irréfléchies, on serait tenté de partager une opinion qui a souvent entretenu le public français dans une fâcheuse indifférence à