Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la race arabe était en armes contre nous, il n’y avait plus qu’une guerre à mort qui pût la réduire. Les fautes du maréchal Clauzel servirent cependant d’enseignement sur un autre point ; elles donnèrent l’idée de l’organisation de la province de Constantine. Le maréchal Valée, plus habile, plus observateur que son prédécesseurs éclairé d’ailleurs par l’expérience, se garda bien de recommencer à Constantine ce qu’on avait fait à Alger et à Oran. Il étudia soigneusement la constitution intérieure de la province, et, en acceptant les faits tels qu’ils étaient, il se servit des élémens indigènes pour fonder par eux la domination française. Cette tactique, on le sait, a parfaitement réussi ; la province de Constantine, aussi grande à elle seule que les deux autres réunies, n’occupe que le quart de l’armée d’Afrique, et la paix s’y est maintenue à peu près sans interruption depuis la conquête. C’est grace à cette organisation qu’il a été possible de détruire plus tard la puissance d’Abd-el-Kader ; car, si la province de Constantine eût été bouleversée comme les deux autres, il aurait fallu doubler l’armée pour la réduire ; cent mille hommes n’auraient pas suffi, il en aurait fallu deux cent mille, et Dieu sait par combien d’alternatives auraient passé nos armes avant de triompher, puisque l’autre moitié de la régence nous a donné à elle seule tant de mal !

Le gouvernement français était maintenant averti par l’expérience ; il savait combien la conquête entière exigerait de sacrifices. Il ne négligea donc rien pour faire servir le traité de la Tafna et l’organisation de la province de Constantine au maintien de la paix avec les Arabes. Plusieurs projets furent présentés pour réduire notre occupation, aucune de ces idées ne prévalut ; ce qui eût été possible au début ne l’était plus. Abd-el-Kader était devenu trop puissant, et les espérances des Arabes d’Alger et d’Oran avaient été trop excitées ; on fut entraîné par des collisions journalières avec les partisans d’Abd-el-Kader. La guerre fut de nouveau déclarée en 1839. Ici M. le maréchal Valée tomba à son tour dans une faute tout opposée à celle de M. le maréchal Clauzel. Il crut qu’avec un ennemi comme les Arabes, la défensive suffisait ; il se trompait. Nos postes furent bientôt bloqués par une inondation de barbares ; les convois étaient enlevés, les hommes isolés assassinés ; de hardis maraudeurs venaient couper des têtes jusque sous les murs d’Alger. Il devint évident qu’une offensive vigoureuse pouvait seule venir à bout de pareils ennemis ; cette offensive exigeait au moins cent mille hommes ; on les envoya, et avec eux le général Bugeaud. Ici commence la troisième période.

Il faut lire dans l’ouvrage de M. de Mont-Rond le récit de cette guerre terrible de cinq ans. Les armées françaises ont fait dans d’autres temps des campagnes plus brillantes, elles n’en ont jamais fait de plus pénibles. M. de Mont-Rond ne fait pas connaître exactement les forces de l’ennemi ; mais il parait certain que, si tous les hommes armés épars sur ce vaste territoire, égal à un tiers de la France, avaient été réunis, l’armée arabe et kabyle eût été de plus de cent mille cavaliers et de cent mille fantassins. Malheureusement ces forces n’étaient pas rassemblées, et il n’a pas été possible d’en finir avec elles d’un seul coup ; il a fallu les atteindre en détail, les poursuivre pied à pied dans tous les réduits du pays le plus tourmenté et le moins connu, les chasser d’abord de la côte, puis s’enfoncer avec eux dans les vallées qui remontent vers l’intérieur, pénétrer