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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/667

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et étranger à ce débat. Les deux mains appuyées sur le canon de son fusil, il regardait et écoutait tout d’un air sombre.

— La bande va-t-elle se disperser ainsi, au lieu d’attendre le rétablissement de Jambe-d’Argent ? demandai-je étonné.

— Monsieur l’abbé le voit, répondit Planchenault brusquement.

— Personne n’a donc assez d’autorité sur eux pour les retenir ?

— Personne, si ce n’est M. Jacques !

— Et il est mort ?

— Mort ! reprit Coeur-de-Roi pensif, c’est à savoir.

— Auriez-vous quelque nouvelle de lui ? demandai-je vivement.

Il fut un instant avant de répondre, puis il me regarda en face.

— Quand j’en aurais, dit-il, que pourrais-je faire maintenant ?

— Mais l’avertir de ce qui se passe !

Il secoua la tête.

— C’est un devoir de conscience, ajoutai-je avec plus d’insistance.

— Alors c’en serait également un pour monsieur l’abbé ? dit-il.

— Si je savais ce que vous semblez savoir…

— Monsieur l’abbé remplirait ce devoir ?

— Sans doute !

— Qu’il vienne donc avec moi ! s’écria le chouan, qui se redressa. Aussi bien, tout ce que je pourrais dire serait inutile, tandis que vos paroles changeront peut-être bien des choses. Si quelqu’un doit ressusciter M. Jacques, ce ne peut être qu’un prêtre.

— Partons alors, répliquai-je.

— Allons, dit Coeur-de-Roi, à la garde du bon Dieu !

Et, jetant son fusil sur l’épaule, il marcha devant moi.

En atteignant la lisière du bois, nous entendîmes distinctement les pas cadencés du détachement qui se dirigeait vers le placis. Mon guide et moi, nous nous enfonçâmes davantage dans le fourré, et, au bout d’une heure de marche parmi les halliers, nous atteignîmes un chemin creux dont nous suivîmes la berge. Je voulus alors interroger Coeur-de-Roi ; mais il éluda toutes mes demandes, en répétant que c’était à M. Jacques de me répondre et qu’il faisait déjà trop en me conduisant à sa retraite. Je ne voulus pas violenter cette conscience combattue, et je me laissai guider sans nouvelles questions. Engagé un peu à la légère dans une entreprise dont j’ignorais les difficultés, je n’éprouvais pourtant ni regret, ni hésitation. J’avais cette foi des cœurs de bonne volonté, dont la première force est l’inexpérience. Inconnu de M. Jacques, étranger jusqu’alors à tous ses projets, je venais m’entremettre sans crainte, comme si la conscience de ma sincérité suffisait pour y faire croire. Don charmant de la jeunesse, qui ne peut voir les hommes qu’à travers elle-même !

Tout en cheminant, je cherchais pourtant à deviner quelles causes