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dans le système classique, vous ne satisferez que cette froide nation littéraire qui ne tonnait rien de plus sérieux que les intérêts de la versification, de plus imposant que les trois unités d’Aristote ; » et M. Guizot ajoutait à ce jugement si net et si précis qu’en s’adressant uniquement aux classes élevées, l’art est en quelque sorte condamné fatalement à voir se restreindre son domaine. Aujourd’hui la discussion et les systèmes ont fini leur temps ; le drame s’est implanté sur le théâtre à côté de la tragédie. Le même public applaudit dans la même semaine Phèdre et Marion Delorme. On ne se passionne plus pour les écoles, mais seulement pour les belles scènes et les beaux vers ; ici encore, on le voit, le bon sens public a accompli cet inévitable travail d’élimination et de rassérènement qui chez nous se produit après toutes les crises intellectuelles.

Au milieu de cette guerre qui dura dix ans, comme la guerre de Troie, e dont l’histoire formerait une véritable iliade, la production a été des plus actives. Il faut en effet produire beaucoup et produire sans cesse pour suffire à la consommation qui de ce côté a augmenté dans une proportion fort grande. Soient données, comme point de comparaison pour le nombre des théâtres et le chiffre des recettes, les années suivantes :


Année nombre des théâtres Recettes
1814 10 4,910,487
1820 12 4,950,431
1830 13 5,761,636
1840 19 7,818,058
1845 23 11,462,000

Ces premiers chiffres une fois posés, si nous cherchons le nombre des auteurs qui alimentent les 23 théâtres de la capitale, et qui amusent ou qui ennuient les 17,000 spectateurs qui viennent chaque soir garnir leurs banquettes, nous en trouvons 460 inscrits sur les registres de la société des auteurs dramatiques. Dans ce nombre, la moitié seulement prend part chaque année à la production des pièces nouvelles, mais cette moitié ne représente elle-même que le quart environ de la totalité des producteurs, attendu qu’on porte à près de 900 le nombre d’écrivains actuellement vivans dont le nom a figuré une ou plusieurs fois sur les affiches des théâtres. Qu’on ajoute à ce total déjà si élevé les auteurs qui composent des tragédies, des comédies et des vaudevilles, sans réussir jamais à les faire jouer, et l’on reconnaîtra qu’à aucune autre époque la production des œuvres scéniques n’a été plus active.

Cette ardeur à se porter vers le théâtre s’explique par les bénéfices bien plus que par l’attrait de l’art en lui-même ; en effet, la moyenne des droits d’auteur s’élève annuellement à 500,000 francs pour les théâtres de la capitale, et à 200,000 pour les théâtres de la province. Il faut ajouter à ces sommes la vente d’un certain nombre de billets qu’en vertu de leurs traités les auteurs ont droit de signer à chaque représentation de leurs pièces, ce qui donne encore pour Paris une somme annuelle de 350,000 fr., soit pour les droits et les billets 1,050,000 fr. Sur les 200 auteurs appelés à partager cette somme, on en compte 16 qui peuvent y prétendre pour le premier tiers, 40 pour le second et 144 pour le troisième. Sans aucun doute la littérature dramatique est au premier rang pour les bénéfices, et comme elle ne demande, quand on n’aspire qu’à des succès lucratifs, ni grands efforts ni vocation impérieuse, il suit de là qu’une foule de jeunes