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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/732

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le prestige le plus fascinateur. Lorsque les fantaisies allemandes, les scènes du Hartz et du Brocken, les sorciers au poil rouge, les mineurs et les lutins de la mine occupent les romanciers et les poètes, il écrit la Forge, caprice étrange qui rappelle à la fois le sabbat de Faust et le Saint Antoine de Callot. Les contes vénitiens de Byron et de Barry Cornwall lui inspirent le Rêve de Bianca, qui n’irait à rien moins qu’à décrier les rendez-vous en gondole et les longs baisers donnés ou reçus au clair de lune. Enfin, lorsque, cherchant à rivaliser de sombre grandeur avec ces tableaux où Martin transportait les majestueux poèmes de la Bible, Thomas Campbell eut écrit son Dernier Homme, Hood, à l’heure même, s’empara de cette idée sublime pour la traiter à sa manière.


« J’ai vu, disait Campbell, j’ai vu le dernier être jeté dans le moule humain, celui qui doit assister à la mort de la création, comme Adam assistait à sa naissance. L’œil du soleil avait un éclat maladif, la terre une pâleur sénile. Les squelettes des peuples entouraient cet homme solitaire, etc. »


Hood, lui, donne la parole à cet homme, qui, dit-il, est le bourreau.


« C’était en l’année deux mille et unième, par un joli matin de mai. J’étais seul, assis sur le haut de ma potence, et chantant un gai refrain, — joyeux de penser que la peste avait épargné mes jours, et me laissait chanter avec l’alouette cette belle matinée. »


Paraît un mendiant qui a survécu, lui aussi, à la ruine universelle, et ces deux hommes déjeunent tranquillement, au pied du gibet, sur notre planète expirante. Ils offrent les débris de leur sacrilège repas aux crânes béans qui parsèment la terre autour d’eux ; ils boivent à la santé des morts ; bref, mille folies sinistres, qui finissent par déplaire au bourreau. Le mendiant met le comble à son impatience par quelques familiarités déplacées, si bien que l’on prévoit à ce drame, si joyeusement commencé, un dénoûment plus ou moins tragique. En effet, les deux derniers représentans de la race humaine ne peuvent vivre en bonne intelligence sur le globe dépeuplé. Dans un palais désert, le mendiant a trouvé un manteau royal, dont il recouvre ses hideuses guenilles. Le bourreau ne laissera pas impunie cette atteinte au droit de propriété, cette tentative d’usurpation. Il appréhende son infortuné compagnon, le cite à son tribunal, le juge, le condamne et le pend séance tenante. Après quoi, saisi d’une espèce de scrupule, il s’apprête à enterrer sa victime, lorsque survient une bande de chiens affamés qui le forcent à chercher refuge sur son gibet. De là, il assiste à l’avant-dernier festin de ces animaux, que la faim a rendus anthropophages, et qui dévorent bel et bien le cadavre du supplicié. Ce spectacle inspire au survivant les plus mélancoliques réflexions : — jamais la solitude