Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duc de Chartres, au point que le monarque, étonné de ce déluge de spectateurs, demanda si le feu était au château. »

On vint de bien loin en effet, et en nombre prodigieux, pour assister à cette espèce de couronnement. L’immense place d’armes de Versailles, les trois superbes avenues qui y aboutissent, étaient encombrées, depuis la première heure du matin, de gens à pied, en voiture, à cheval ; curiosité fort irréfléchie, car que prétendait-on voir ? Logée dans les appartemens du château, Mme Du Barri n’avait aucun trajet à parcourir pour se rendre chez le roi. Sa voiture n’eut pas même besoin de sortir de la grille ; elle dut se borner à faire, comme simple évolution de parade, le tour de la cour royale, prise en partie sur la cour du vieux château, dit de Louis XIII. Mais Mme Du Barri allait être présentée, et cette nouvelle avait mis en mouvement, à vingt lieues à la ronde, toutes les populations. Aucun des bruits qui avaient couru sur les outrages qui l’attendaient à son entrée dans le salon du roi ne se réalisa. Les princesses, filles de Louis XV, devaient se lever, sortir indignées, et le duc de Choiseul déposer son portefeuille ; puis toute la cour en masse se retirerait. On laisserait le roi seul avec sa maîtresse exécrée dans la solitude du château. Il n’arriva rien de cela. Les portes dorées s’ouvrirent ; Mme Du Barri, un peu émue, salua le roi, qui l’empêcha de se jeter à ses pieds, ensuite les princesses, qui, toutes trois, l’accueillirent fort bien. On l’avait aussi menacée du vide le plus significatif, si elle osait ouvrir ses salons le jour de sa présentation. Elle les ouvrit, et la foule s’y précipita. Les grands noms de la France retentirent toute la nuit, les Conti, les Soubise, les Richelieu, les d’Aiguillon, les d’Ayen. Cependant les partisans du duc de Choiseul ne se montrèrent pas. La comtesse eut la partie flottante des courtisans, et ceux qui avaient à se plaindre du ministre, et ceux qui n’avaient rien à espérer de lui, ce qui ne balançait pas encore les forces de son ennemi, mais représentait déjà une coalition imposante. Désormais il fallait compter avec elle. Les femmes opposèrent en général une résistance plus vive que les hommes à l’intronisation de la comtesse. Il s’en trouva fort peu pour l’accompagner à Marly quelques jours après sa présentation, et encore épuisa-t-on les plus actifs moyens de séduction envers celles-ci. — Théveneau de Morande prétend qu’un soir qu’elle jouait aux cartes dans ce magnifique château de plaisance, avec des marquis et des ducs, il lui échappa, à la vue d’un mauvais point, ce cri de douleur un peu vulgaire : Ah ! je suis frite !

Nous voudrions bien croire à l’histoire du comte de Coigny, qui, ignorant, au retour d’un voyage en Corse, le nouvel état de splendeur de la comtesse, crut pouvoir lui parler sur le même ton qu’à Mlle L’Ange Gomart de Vaubernier. Mme Du Barri, après plusieurs avertissemens très