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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/822

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liquides le front rêveur des statues. La machine à vapeur, qu’on a reliée peut-être à tort à l’ancien système de Renkin, a coûté près d’un million. Elle rend de plus grands services que la vieille machine, il est vrai, mais tout ce monument hydraulique est à refaire ; il fuit, il craque, il menace ruine de toutes parts.

Le salon où nous avons laissé Louis XV se reposant de la douce fatigue du déjeuner, ce salon, l’unique, du reste, qui se trouve dans le pavillon de Luciennes, changeait trop souvent de physionomie au gré de la mode, au vent du caprice de la belle propriétaire, pour qu’il soit possible de raconter, un demi-siècle après sa splendeur, son fabuleux mobilier ; on sait seulement qu’il surpassa en délicatesses fastueuses les plus beaux cabinets de Versailles. Ce qui le distinguait surtout des salons royaux, c’est un choix rare, presque religieux, dans les œuvres d’art qui l’ornaient. Boiseries, glaces, parquets, tableaux, statues, moulures, tables, sièges, rideaux, porcelaines, étaient d’un travail exquis, d’un goût précieux. Les modèles, les types, étaient brisés ; on voulait que ces chefs-d’œuvre devinssent sans prix avec le temps, et c’est ce qui est arrivé. Le nom de Mme Du Barri est magique dans le commerce des curiosités. Il centuple la valeur du moindre objet qui a appartenu à cette femme célèbre. Fragonard et Briard avaient couvert le plafond du salon, ainsi que celui de la chambre à coucher et de la bibliothèque, de peintures rustiques comme on savait les faire à cette bizarre époque de matérialisme et de bergerie. Les statuettes étaient de Pigalle et de Pajou, ces grands petits génies. On admirait encore, dans ce salon de fée, les ornemens de détail, les manteaux de cheminée, les feux, les bras, les espagnolettes, les chandeliers, les corniches, les poignées et les clés. C’était de l’orfèvrerie pure. Ce fer et ce cuivre fouillés, attendris, pétris par des artistes inconnus, plus grands de ce qu’on ne sait pas leur nom, se vendent aujourd’hui au poids de l’or, et ce n’est pas assez. Ce miraculeux XVIIIe siècle a soufflé son ame dans tout ce qu’il a produit, comme le verrier puissant souffle sa vivante haleine dans le verre. Ce fut un siècle léger, vicieux, athée, corrompu, mais vraiment français. Il eut de l’esprit, ce qui est bien plus rare que le génie, de la passion, de la grace, du courage jusqu’à la folie, de la colère jusqu’au régicide. Il produisit Voltaire, Fontenoy, Watteau, 89, Napoléon ; un rare écrivain, une véritable bataille, le seul peintre français original, une immortelle révolution, et le plus grand homme des temps modernes. N’est-ce pas assez ?

Quand Louis XV avait assez distrait sa vue par les croisées du grand salon, il passait dans la bibliothèque, qui était placée dans le salon de droite, et dont la somptuosité soutenait le parallèle avec les autres pièces du pavillon. On y voyait quatre tableaux de Vien et des dessus de porte par Drouet, l’auteur de l’admirable portrait de la comtesse.