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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/835

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Louis XVI voulait pardonner ; Marie-Antoinette, devenue reine de France, ne se sentait pas toute la force nécessaire pour se venger long-temps. Elle était d’ailleurs si heureuse avec ses nobles et belles amies, la princesse de Lamballe et Mme de Polignac ! Elle ne passait jamais par Luciennes sans dire en soupirant : Pauvre comtesse ! Un jour le roi entendit cette clémente parole, et le lendemain la comtesse, dans une belle voiture, quittait le couvent de Pont-aux-Dames, déjà aimée, chérie, regrettée des pieuses sœurs. Aussi ne les oublia-t-elle jamais. Tant qu’elle vécut, elle leur envoya des souvenirs de son affection et de sa reconnaissance. Cependant sa liberté n’était pas son élévation. Le roi lui rendit ses propriétés, ses pensions, il paya même ses dettes, mais il ne lui rouvrit pas les portes de la cour de Versailles, qui, disons-le tout de suite, ne devaient plus se rouvrir pour elle. Cet exil-là ne finirait jamais ; il durerait les dix-neuf années qui lui restaient encore à vivre. Ce paradis terrestre lui était fermé. Aussi la vie de Mme Du Barri, depuis ce moment, fait bien comprendre tout ce que la cour, dans un état monarchique, donne ou retire de vitalité. Quoique aussi riche, ou à peu près, que sous Louis XV, quoique plus belle, car la beauté de l’intelligence s’était jointe en elle à la beauté physique, elle fut presque mise en oubli pendant les dix-neuf années du règne de Louis XVI. Elle semble n’avoir vécu, dans ce long intervalle, que pour les libellistes contemporains, et pour autoriser les faiseurs de mémoires apocryphes à remplir d’anecdotes tirées de leur riche imagination la grande lacune placée entre sa déchéance et sa mort.

Après sa sortie du couvent de Pont-aux-Dames, elle acheta, en partie avec le prix de vente de sa maison de Versailles, acquise par Monsieur, la terre de Saint-Vrain, située entre Orléans et Paris. Elle alla l’habiter avec le duc de Cossé-Brissac, son plus fidèle ami et l’ami auquel elle fut peut-être le plus fidèle, ce qui n’implique d’une part ni de l’autre une fidélité absolue. Ils s’aimaient pour eux-mêmes ; c’est beaucoup dans tous les temps. Sous les ombrages frais et tranquilles de Saint-Vrain, le duc de Brissac lui raconta tout ce qui s’était passé de remarquable à la cour depuis la mort de Louis XV, depuis son exil au couvent de. Pont-aux-Dames ; les insultes faites par le peuple au cercueil de Louis XV, la disgrace immédiate du duc d’Aiguillon, remplacé par M. de Vergennes aux affaires étrangères, celle de M. de Maupeou et de l’abbé Terray, remplacés, le premier par M. de Miroménil, le second par Turgot, changemens qui s’étaient opérés sans que le roi eût pensé une seule fois à rappeler le duc de Choiseul, ce grand homme d’état qui avait pourtant donné la Lorraine et la Corse à la France.

Quand le duc de Brissac et son amie eurent assez pleuré sur les splendeurs éteintes de l’ancienne cour et un peu médit de la nouvelle, qui affectait tant d’austérité sans rien diminuer aux dépenses, ils tournèrent