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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/866

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eût réellement existé, n’eût-elle pas été conservée avec soin ? n’eût-elle pas été publiée ? et l’évêque de Palencia ou ses héritiers, quelque prudence qu’on leur suppose, auraient-ils couru le moindre risque à faire paraître une justification du grand-père de leur souveraine ?

Je n’ai que quelques mots à dire de deux apologistes modernes de don Pèdre. Le premier, le comte de la Roca, composa en 1648 un petit volume intitulé El rey don Pedro defendido. Ce n’est, à vrai dire, qu’un extrait d’Ayala, écrit en style cavalier et accompagné de réflexions assez niaises. A l’occasion de la mort de don Fadrique et de celle de la reine Blanche, il dit de son héros : « Il y a des honneurs tellement susceptibles, qu’en cas de procès, ils ne lâchent pas leur partie, même innocente[1]. » Et voilà le roi justifié : « Eh quoi ! manger moutons, canaille, sotte espèce… - Vous leur fîtes, seigneur, en les croquant, beaucoup d’honneur. » Tels sont les argumens favoris du comte de la Roca, exprimés en assez mauvais termes et fort entortillés à la manière du temps où il écrivait.

Après le gentilhomme vient le docteur, je veux dire le licencié don Josef Ledo del Pozo, professeur de philosophie à Valladolid, auteur d’un livre intitulé : Apologia del rey don Pedro, conforme à la cronica de don Pero Lopez de Ayala. Cet ouvrage parut à la fin du siècle dernier[2]. Le licencié, comme on le voit par le titre de son livre, n’attaque point la véracité d’Ayala. Il interprète les actions de don Pèdre, et arrive à cette conclusion : « Qu’il fut un législateur intègre, un vaillant capitaine, un parfait chrétien, un juge austère, un père tendre, un monarque désirable (apetecible), un roi qui ne le cède à aucun autre, digne des surnoms de Bon, Prudent et Justicier[3]. »

En trois mots, on peut analyser le volumineux plaidoyer de don Josef Ledo : « Un roi ne saurait faire mal ; quiconque lui déplaît est coupable. » Il y a, dit-on, une explication à cette énorme et lourde apologie. Le seigneur licencié avait eu le malheur de déplaire soit à l’inquisition, soit aux ministres de sa Majesté Catholique. Suspect d’opinions voltairiennes et philosophiques, il était menacé de perdre sa chaire. Pour conjurer l’orage, il ’fit ses preuves de servilité ; j’ignore s’il réussit.

Pour moi, je n’ai point entrepris de défendre don Pèdre ; mais il m’a semblé que son caractère et ses actions méritaient d’être mieux connus, et que la lutte d’un génie énergique comme le sien contre les mœurs du XIVe siècle était digne d’une étude historique.

J’ai cité avec soin les ouvrages qui m’ont servi principalement pour

  1. El rey don Pedro def., p. 44.
  2. Le volume que j’ai entre les mains ne porte point de date, mais M. Ledo cite souvent M. Llaguno et son édition de 1780.
  3. Apol. del rey don Pedro, p. 441.