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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/95

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Les seuls dehors suffisent à trahir ce défaut d’agrégation, et, si ces élémens hétérogènes ne sont pas inconciliables, on s’aperçoit du moins tout de suite qu’ils ne sont pas encore assez conciliés.


Plaçons-nous au cœur de l’empire, dans cette Marche électorale de Brandebourg, qui a été comme le solide noyau autour duquel s’est formée la domination des Hohenzollern. C’est là que survit toujours le vrai Prussien avec sa consistance propre, le vieux Prussien, comme on l’appelle, un royaliste décidé, moitié par affection domestique pour une dynastie sous laquelle a grandi son nom, moitié par goût inné pour le culte superstitieux de la discipline et de la hiérarchie. Le roi est le maître, parce qu’il est le roi ; tel est tout le catéchisme de ces durs esprits, droits et sensés dans leur genre, mais étroits, secs et particulièrement orgueilleux. On dit : l’esprit de la Marche ! dans toute l’Allemagne, le mot est reçu pour désigner cette froide et désagréable nature. Le petit bourgeois de Berlin se soucie peu des nouveautés politiques ; ce ne fut point sans peine qu’on lui démontra que le discours du 11 avril n’était pas le chef-d’œuvre de l’amour paternel du prince pour son peuple. Il se répète avec fierté que ses rois sont de braves rois, et, comme il garde aux Français une rancune farouche jusqu’à la niaiserie, on peut toujours le traiter fort cavalièrement, pourvu qu’on lui dise en même temps qu’il a vaincu la France à Rosbach et à Gross-Beeren. Les lettrés, les employés, la riche bourgeoisie, sont dévoués sans doute aux principes constitutionnels, et leur dévouement est sérieux, malgré certain pédantisme avec lequel ils se félicitent d’être la nation de l’intelligence, comme nous nous glorifions d’être la grande nation ; mais Berlin est aussi, ne l’oublions pas, la ville des fonctionnaires, la capitale des piétistes, la citadelle de toutes les orthodoxies. Il subsiste ainsi dans les classes éclairées une minorité imposante qui paralyse souvent tout le reste ; forte de l’immobilité des classes inférieures, argumentant de leur instinct, appuyée sur leur foule, cette minorité de doctes conservateurs soutient par calcul ou par système l’ancien trône avec l’ancien autel. Ce n’est point Berlin qui prendra les Tuileries prussiennes, et la fidèle Marche ne bougera pas de si tôt.

Que n’est-ce de même partout ? Avec quelle douce sécurité, avec quel heureux loisir on se bercerait dans les réminiscences du bon vieux temps ! Mais il n’y a guère que les Poméraniens sur qui l’on puisse compter avec le même abandon, et les lourds géans de la Baltique sont d’espèce naturellement trop indifférente pour mettre de la passion dans l’obéissance ; ils obéissent sans s’attacher. La force inerte de ces robustes populations est un instrument docile au service de tous les maîtres ; ils ne résistent pas plus aujourd’hui qu’ils ne résistaient hier, qu’ils ne résisteraient demain. Les Français, si détestés par la populace berlinoise,