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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/970

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des nobles et des communes. Il était à croire en effet que la Castille, parvenue à sa grandeur actuelle par la réunion de plusieurs couronnes sur la même tête, accueillerait avec faveur un prétendant qui lui apportait en dot un vaste royaume. Ce projet, aussitôt adopté par Alburquerque et transmis à l’infant de Portugal par son favori Alvar de Castro, ne put recevoir cependant même un commencement d’exécution, grace à la résistance énergique qu’il rencontra de la part du roi don Alphonse IV. Non-seulement il se hâta de le désavouer, mais encore il éloigna de la frontière le prince son fils et lui défendit de correspondre avec les conjurés dont les promesses l’avaient un instant séduit[1].

Au moment où se concluait l’alliance entre Alburquerque et les bâtards de Castille, la reine Marie, mère de don Pèdre, quitta précipitamment la cour de Portugal, voulant sans doute fuir le soupçon de complicité avec les rebelles. Pour rentrer en Castille, elle fit un long détour, comme si elle eût voulu éviter de les rencontrer sur son passage. S’il faut en croire le chroniqueur, la longueur du voyage n’était pas sans charmes pour elle. Martin Alphonse Telho, chevalier portugais, « tenait la bride de sa monture par les chemins, » et, tout occupée de l’amour qu’elle lui avait inspiré, elle cherchait la solitude au lieu de prendre part aux grands événemens politiques qui se préparaient[2].

A peine instruit de la trahison de ses frères, confirmée par Juan de Villagera qui était parvenu à s’échapper, don Pèdre, dès le lendemain de son mariage, quittant pour toujours doña Juana de Castro, courut à Castrojeriz, qu’il assigna pour rendez-vous à ses vassaux immédiats. Il y manda également ses cousins, les deux infans d’Aragon, déjà de retour de leur voyage en Portugal. Cependant la conjuration des bâtards s’étendait au-delà de l’Estramadure. En apprenant la rébellion de ses frères, don Tello essaya d’insurger la Biscaïe et se mit à lever des troupes sur les vastes domaines de sa femme, l’héritière des Lara. C’était une nouvelle trahison, qui montrait à don Pèdre quels étaient les hommes qu’il avait comblés de ses bienfaits. Dans l’espoir de faire une diversion puissante en Biscaïe, le roi maria sur-le-champ l’infant don Juan d’Aragon à doña Isabel de Lara, la seconde fille de don Juan Nuñez ; et, déshéritant de son autorité privée l’aînée des deux sœurs mariée à don Tello, il donna au prince aragonais le titre de seigneur de Biscaïe et de Lara[3]. Il opposait ainsi les infans d’Aragon aux bâtards, comptant sur une fidélité qu’il récompensait d’avance magnifiquement. Trahi par ses frères, don Pèdre croyait encore à la force des liens du sang. Maintenant c’était dans le dévouement de ses cousins qu’il mettait sa

  1. Ayala, p. 125.
  2. Ibid., p. 126.
  3. Ibid., p. 130.