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Tello, après avoir soulevé la Biscaïe, avait amené des troupes aux infans d’Aragon, déjà maîtres d’une partie de la Castille. Tous ensemble avaient écrit à la reine Blanche pour l’assurer de leur dévouement, et, répandant partout le feu de la révolte, prétendaient exécuter ses ordres. Réunies, leurs troupes s’élevaient à six ou sept mille hommes d’armes, sans compter l’infanterie[1]. Le roi conservait à peine autour de sa personne six cents cavaliers complètement découragés par cette suite continuelle de défections et de revers.

Dans cette extrémité, la première pensée de don Pèdre fut pour le salut de sa maîtresse. Il s’empressa de la mener, ainsi que sa mère, la reine Marie, dans le fort château de Tordesillas, situé au milieu d’un pays difficile, où il se flattait de pouvoir résister long-temps aux rebelles, s’ils poussaient l’audace jusqu’à l’y attaquer. Cette forteresse, la grande ville de Toro et quelques places voisines sur le Duero étaient les seules qui reconnussent encore son autorité. Il fut bientôt suivi, quoique de loin, par les rebelles, renforcés par une nouvelle défection, celle de don Juan de la Cerda, car la faction de Lara elle-même abandonnait le roi pour se réunir à ses anciens adversaires. La Cerda pactisait avec Alburquerque, oubliant la mort de son beau-père Alonso Coronel, comme les bâtards oubliaient celle de leur mère doña Léonor. Les confédérés travaillaient sans relâche à rétrécir le cercle dont ils enveloppaient le roi, comme des chasseurs traquent et forcent une bête fauve. Tout en l’acculant ainsi à ses dernières défenses, ils renouvelaient fréquemment leurs protestations de fidélité, mais insistant chaque fois avec plus de force sur les prétentions contenues dans leur manifeste. La reine douairière d’Aragon vint elle-même porter au roi des propositions d’accommodement, ou plutôt lui représenter à quelles conditions désormais il pourrait conserver sa couronne : d’abord, l’exil de Marie de Padilla dans un couvent de France ou d’Aragon, et l’éloignement de ses parens ; puis on exigeait encore que le roi revînt auprès de son épouse légitime, car, depuis l’insurrection de Tolède, la ligue affectait de n’avoir pris les armes que pour venger les injures de Blanche. À ce prix, disait doña Léonor, le roi ne trouvera plus que des sujets soumis et empressés de lui obéir. Malgré sa mauvaise fortune, don Pèdre se montra inflexible. Il répondit fièrement qu’il ne traiterait jamais avec les confédérés, qu’au préalable ils n’eussent posé les armes et demandé merci. En même temps il écrivit à l’infant d’Aragon, En Père, alors régent de ce royaume en l’absence de Pierre IV[2], pour

  1. Rades donne sept mille chevaux au seul maître de Saint-Jacques. Cron. de Santiago, page 47.
  2. Pierre IV était alors en Sardaigne. Zurita, Anales de Aragon, t. II, p. 257. — J’ai conservé la forme catalane de ce nom pour le distinguer de ses homonymes le roi de Castille, le roi d’Aragon, l’infant de Portugal, etc.