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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/991

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ils auraient à répondre de leur conduite. L’excommunication, fulminée à Tolède le 19 janvier 1355, ne paraît avoir altéré en rien la disposition du peuple à l’égard du roi. Au contraire, elle excitait l’indignation, maintenant qu’il était réconcilié avec ses sujets ; car, de tout temps, les Espagnols ont vu avec répugnance des étrangers se mêler de leurs affaires. D’ailleurs, le saint-siège, depuis sa translation à Avignon, avait perdu beaucoup de son prestige aux yeux de l’Europe ; enfin ses foudres n’avaient jamais été redoutées dans la Péninsule. La censure du pape eut probablement pour résultat d’empêcher les prélats du royaume de prendre part aux délibérations de Burgos, mais elle ne fit pas perdre au roi un seul de ses partisans et ne diminua en rien le zèle nouveau qui éclatait de toutes parts pour sa cause. Don Pèdre répondit à l’excommunication en saisissant les biens du cardinal Gilles Albornoz et ceux de quelques autres prélats ; et, rendant menace pour menace, il annonça l’intention de confisquer les domaines des évêques qui hésiteraient entre le pape et lui[1].

La révolte des ligueurs, la guerre de trahisons qui s’en était suivie, la courte captivité du roi et les moyens auxquels il avait dû avoir recours pour obtenir sa liberté, ne pouvaient manquer d’exercer une influence décisive sur son caractère. Les malheurs mûrissent les hommes avant le temps. Le séjour de Toro valut à don Pèdre des années d’expérience. Trahi par tous ses parens et par sa mère même, il devint soupçonneux et méfiant pour tout le reste de sa vie. Il emportait de sa prison de la haine et du mépris pour cette noblesse qui, après l’avoir vaincu, s’était laissé acheter bassement les fruits de sa victoire ; mais il avait appris à connaître la puissance de ses adversaires, et toutes les armes lui furent bonnes pour les combattre. La ruse, la perfidie, lui parurent des représailles. Jusqu’alors il s’était montré violent et impétueux ; il apprit à se composer un visage, à feindre l’oubli des injures, jusqu’au moment d’en tirer vengeance. Autrefois il se piquait d’être loyal autant que juste ; maintenant il se crut tout permis contre de grands coupables. Une forte conviction dans la bonté de leur cause rend les hommes indifférens sur le choix des moyens pour la faire triompher. Le roi prit bientôt sa haine pour de l’équité. La férocité de mœurs du moyen-âge et l’éducation qu’il avait reçue au milieu de la guerre civile avaient endurci ses nerfs au spectacle et à l’idée de la douleur. Pourvu qu’il fût obéi et redouté, il se souciait peu de gagner l’amour d’hommes qu’il méprisait. Détruire le pouvoir des grands vassaux, élever son autorité sur les ruines de la tyrannie féodale, tel fut le but qu’il se proposa désormais et qu’il poursuivit avec une inflexible opiniâtreté.

  1. Rainaldi, Ann. eccl., t. XXVI, p. 22. Cfr. avec la note 5 de M. Llaguno, ad. Ayala, page 209.