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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/138

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REVUE DES DEUX MONDES.

immorale des officiers de santé, demi-médecins dont existence officielle semble proclamer qu’aux yeux de l’état il existe des demi-maladies, ou des citoyens dont la vie ne mérite que des demi-garanties ; mais, en Allemagne, il y a quatre degrés parmi les médecins. Les deux premiers forment en quelque sorte l’état-major du corps médical : ce sont les médecins gradués, divisés eux-mêmes en deux ordres, les médecins de grandes villes et ceux de petites villes. Au-dessous d’eux se trouvent deux classes d’officiers et sous-officiers de santé qui ne peuvent exercer que dans les bourgs et les villages.

L’Angleterre est à bon droit fière de sa haute civilisation matérielle ; mais la plupart des institutions qui intéressent l’intelligence y rappellent encore, sous bien des rapports, les contrastes choquans du moyen-âge. La médecine nous offre un exemple curieux de ce fait. Ici existe encore la confusion des fonctions de pharmacien et de médecin. Le surgeon apothecary visite ses patiens de tout genre comme médecin, chirurgien ou accoucheur, leur prescrit des ordonnances qu’il fait ensuite préparer dans sa propre officine, joignant ainsi l’exploitation pécuniaire à tous les inconvéniens graves qui résultent de son ignorance. Parmi les médecins mêmes, il existe une telle absence de toute organisation réelle, que l’on compte dix-neuf sources différentes de privilèges et d’honneurs en médecine et autant de différens genres d’éducation médicale, auxquels se rattachent quatorze espèces d’immunités et de droits professionnels. En Angleterre, les exigences pour l’acquisition du grade de docteur en médecine varient à un point tel que, pour atteindre ce degré suprême de la hiérarchie, certains sont obligés de consacrer dix années d’un travail incessant aux plus fortes études classiques, philosophiques et médicales, tandis que d’autres y arrivent d’emblée, grâce à un mandement de l’archevêque de Canterbury (Edinburg’s Review, january 1845).

Il est à regretter que M. Markus, en présentant son résumé critique sur l’état de la médecine dans le reste de l’Europe, ne nous ait rien dit de la Russie. Le médecin ordinaire de l’impératrice aurait-il craint de se compromettre en exposant trop clairement les vices d’une organisation que nous ne connaissons pas, et s’est-il cru obligé de parler par allusion ? Ce serait possible. Une pensée toutefois perce dans cette première partie d’un ouvrage dont l’auteur nous promet la continuation. M. Markus trouve évidemment fort belle l’institution du proto-médicat telle qu’elle existait en Sicile au XIVe siècle. Il est permis de supposer qu’il voudrait voir quelque chose de semblable établi en Russie, et nous pensons qu’il accepterait sans peine cette haute magistrature médicale. Certes, en France, la réalisation d’un semblable projet serait impossible et désastreuse sous bien des rapports ; mais peut-être n’en est-il pas de même en Russie. Dans ce pays, où l’organisation est poussée jusqu’à l’excès, où, d’après ce que nous croyons savoir d’une manière positive, le choix des professeurs de médecine dépend du bon plaisir d’un grand seigneur, il y aurait avantage à mettre à la tête corps médical un homme de l’art dont les intentions nous paraissent bonnes et dont les idées sont généralement justes.



V. de Mars.