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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/17

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les ateliers nationaux.


ses. Déjà les capitaux qui alimentaient le travail de ces ouvriers les suivent en Savoie ; des métiers se dressent, des ateliers s’organisent, des commandes étrangères dirigées sur Lyon se détournent sur Chambéry, et la Savoie va devoir à la brutalité des Voraces et des Ventres creux, comme la Suisse et la Prusse à la révocation de l’édit de Nantes, des manufactures de soie dont les nôtres rencontreront partout la concurrence. Ce ne sera pas la seule punition des ouvriers de Lyon. Leurs exemples ont été suivis à Paris et dans les environs : les ouvriers anglais ont été chassés des ateliers des chemins de fer, et l’Angleterre répond aujourd’hui à cette provocation insensée par l’engagement que prennent entre elles, la reine en tête, les plus hautes ladies et les plus humbles bourgeoises d’exclure de leur toilette et de leur intérieur tout objet de fabrication française. Nous ne sommes pas en mesure de rendre coup pour coup, car l’Angleterre reçoit pour plus de 70 millions de nos produits fabriqués et nous en vend à peine pour 14 des siens. La part de Lyon et de Paris sera considérable dans cette perte de travail. L’Angleterre a reçu de nous en 1846 pour 35,293,000 francs de tissus de soie, et ce chiffre comprend au-delà de 17 millions de main d’œuvre. Quant à Paris, qui pourrait compter la multitude d’articles de modes, d’objets de fantaisie dont la fabrication sera paralysée par ces représailles ? Ces familles d’ouvriers qui vont rester inoccupées n’auront-elles pas droit d’admission dans les ateliers nationaux, lorsque leur inaction viendra de ce que les hommes dont la mission était de prévoir et de protéger n’ont su faire ni l’un ni l’autre ? N’y a-t-il pas d’ailleurs à l’étranger autant d’ouvriers français que d’ouvriers étrangers en France ? Si les étrangers traitent nos compatriotes comme nous traitons les leurs, aurons-nous aucun droit de nous plaindre, et ce surcroît de bras oisifs ne retombera-t-il pas aussi par notre faute sur les ateliers nationaux ? L’honneur encore plus que l’intérêt de notre pays veut que cet état de choses cesse. La solidarité qui règne dans le sein de la nation entre toutes les professions ne permet pas de laisser le bien-être et l’existence de classes nombreuses d’ouvriers à la merci des goûts des mécaniciens des chemins de fer de Paris pour le privilège ou des jalousies grossières des Voraces de Lyon. C’est au gouvernement, dont les inspirations se puisent à d’autres sources, de contenir ces passions basses, et, puisque ceux à qui s’adressait particulièrement son éloquente proclamation du 8 avril[1] n’en ont pas tenu plus de compte que du décret du 24 mars sur l’achèvement du Louvre, l’assemblée nationale ne refusera point les mesures nécessaires pour assurer aux ouvriers étrangers une sécurité dont les nationaux seront les premiers à recueillir les fruits.

  1. Proclamation relative aux travailleurs étrangers. (Bulletin des Lois, n" 31.)