Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux, et soyons justes pour être habiles. » — « Jamais, s’écrie-t-il ailleurs dans une vive sortie contre les théories de 93, jamais le meurtre ne sera, à mes yeux, un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné, qu’un terroriste. N’ai-je pas rencontré, en rentrant en France, toute cette race de Brutus au service de César et de sa police ; les niveleurs, régénérateurs, égorgeurs, étaient transformés en valets, espions, sycophantes, et puis en ducs, comtes et barons. Quel moyen-âge ! »

Ceux qui ont eu l’honneur d’approcher l’illustre vieillard le reconnaîtront dans les lignes que nous venons de citer. Aux derniers temps de sa vie, alors qu’il devenait de plus en plus indifférent aux choses d’ici-bas, les faux systèmes et spécialement la fausse démocratie, la démocratie de l’oppression et de la violence, conservaient encore le privilège de l’émouvoir, de l’animer, de l’indigner ; il s’emportait, et, sortant de son laconisme habituel, il se répandait en paroles ardentes. Quand nous lui proposâmes de publier une étude sur ses Mémoires, il nous le permit, mais à une condition : c’est que nous chercherions surtout dans ce riche arsenal des armes contre les mauvaises doctrines. Nous achevions de remplir ce devoir, lorsque la mort de l’illustre écrivain a donné à notre travail une opportunité doublement triste, car M. de Chateaubriand a cessé de vivre au moment où les erreurs et les sophismes qu’il combattit toute sa vie venaient de faire couler le sang dans nos rues. La bataille de juin, cette convulsion terrible qui menaçait d’emporter non-seulement la république, mais la société tout entière, fut le tourment de ses derniers jours. Assis devant ses fenêtres ouvertes, affaibli par les approches de la mort, on le voyait pâle, silencieux et sombre, la tête courbée sur sa poitrine, prêter l’oreille au bruit lointain de la guerre civile : chaque coup de canon lui arrachait des tressaillement et des larmes ; mais cette ame si française a pu du moins, en déplorant les nécessités du combat, assister encore à la victoire, et nous quitter sans désespérer de la France.

Louis DE LOMÉNIE.