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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/207

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fortes dimensions et d’un bois trop lourd, pesaient à elles seules plus que ne pouvaient porter les animaux. Il fallut tout recommencer, faire fabriquer de nouvelles caisses, et réformer les cangayos, ou bâts, qui furent reconnus devoir blesser les animaux. Pendant ce temps, plusieurs des mules furent perdues ; on peut juger des inquiétudes, des tracas que j’éprouvais, et auxquels une violente attaque de fièvre typhoïde vint mettre le comble. A peine convalescent, les médecins me firent partir pour la Serra d’Estrella, dont l’air pur et frais me rendit bientôt la santé. C’est là que devait venir me rejoindre la caravane laissée sous la direction de M. d’Osery.

Après plusieurs jours d’attente, je vis arriver mes compagnons dans un état qui, certes, n’était pas fait pour ranimer mon courage. La plupart des animaux, blessés ou boiteux, étaient déjà presque hors de service. M. d’Osery, à pied et le corps déchiré par les épines, conduisait lui-même un lot de mules (on donne ce nom à une petite troupe de sept bêtes de somme) qui portaient nos instrumens d’astronomie et nos objets les plus précieux. Lorsqu’on avait voulu partir, on s’était aperçu que les animaux qu’on nous avait fait acheter n’avaient jamais été dressés au transport des fardeaux. Il avait donc fallu les retenir fortement et leur bander les yeux pendant qu’on les chargeait ; mais, aussitôt lâchés, ils s’étaient tous rués les uns sur les autres, s’abattant mutuellement, puis s’enfuyant au galop dans toutes les directions, et se débarrassant d’un poids qui leur était aussi nouveau qu’incommode. Qu’on juge si nos chronomètres et nos instrumens de précision, orgueil des ateliers de Gambey, s’accommodaient de ce mode de voyage ! Les muletiers, habitués à conduire des cuirs et du suif, s’asseyaient tranquillement en assurant de la manière la plus philosophique que les animaux s’arrêteraient dès qu’ils seraient fatigués. Bien que la justesse de cette prévision fût incontestable, mes compagnons de voyage n’en éprouvaient pas moins quelques inquiétudes sur les perturbations que ces courses au clocher pouvaient amener dans la marche d’instrument aussi délicats. Moins patiens que les muletiers, ils s’en prenaient à ceux-ci d’abord, puis aux mules, puis au pays, puis à tout le monde enfin. Les muletiers, dont le flegme tropical s’étonnait de leur impatience, n’avaient rien trouvé de plus simple que de partir chacun de son côté pour rattraper les mules ; mais, supposant sans doute que ces animaux indisciplinés ne pouvaient nous convenir, ils avaient emmené avec eux les meilleurs et n’avaient plus reparu.

Ces scènes, qui devaient se reproduire souvent pendant le cours de notre voyage, étaient alors toutes nouvelles pour nous. Aussi mes pauvres compagnons ne se remirent-ils en marche avec moi que très découragés. Ils étaient bien convaincus que l’expédition commencée sous d’aussi fâcheux auspices ne produirait pas les résultats attendus. J’ai