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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/224

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Leurs intentions avaient été d’abord hostiles, mais notre conduite sage et ferme les avait ramenés à de meilleurs sentimens ; tout portait à croire à la sincérité des témoignages d’amitié qu’ils nous prodiguaient J’annonçai aux chefs mon intention d’emmener les Brésiliens, et ils y consentirent, bien qu’à regret.

La plupart des Chambiroas n’avaient jamais vu de blancs avant notre passage, car les Brésiliens esclaves dont je viens de parler étaient mulâtres ou métis. Les femmes nous regardaient avec des gestes de surprise ; elles entrouvraient nos vêtemens pour voir si notre poitrine était de la couleur de notre figure, et ne tarissaient pas en exclamations d’étonnement. Ce fait indique combien peu de tentatives ont été faites par les Brésiliens pour explorer cette partie de leur vaste territoire. Je pus m’assurer que l’anthropophagie, qui existe à l’état de coutume chez plusieurs peuples du Brésil central, inspire aux Chambiroas autant d’horreur qu’à nous-mêmes. J’avais invité des chefs de cette nation à partager notre frugal repas ; mais aucun ne voulut toucher à la viande de bœuf, car, ne connaissant pas d’animal d’aussi grande taille, ils se figuraient que cette chair devait être de la chair humaine, et ils avaient peine à cacher leur dégoût. Je cherchai en vain à leur faire comprendre la vérité.

Le tambour, au son duquel se faisaient nos apprêts de départ et nos diverses manœuvres, avait pour ces sauvages un charme tout particulier. Pendant presque toute la nuit, je fus obligé, à la prière des chefs, de faire promener la caisse à travers les rues du village. Tous les habitans la suivaient, rangés par pelotons et se tenant par le bras ; ils ne pouvaient se lasser de l’entendre, et, lorsque le tambour se taisait un instant, on me suppliait aussitôt de donner des ordres pour la continuation de cet étrange concert. En revanche, nos armes à feu inspiraient à ces Indiens une grande terreur. Le chef de la tribu étant venu me rendre visite, je lui fis les honneurs d’une salve de mousqueterie. Épouvanté par la détonation, il se jeta à terre avec tous ses guerriers, et nous eûmes toutes les peines du monde à leur persuader qu’ils n’étaient point morts.

Quelques jours nous avaient suffi pour visiter les principaux établissemens de la petite peuplade qui nous avait si bien accueillis. Le moment était venu de continuer notre pénible exploration. Nous allions nous retrouver au milieu des solitudes ; ce n’était plus contre les hommes, mais contre la nature qu’il nous faudrait lutter. De terribles cascades obstruent la partie du fleuve qu’il nous restait à explorer. Je fis tous mes efforts pour déterminer quelques Indiens à nous servir de pilotes ; mais ils refusèrent obstinément de partager nos périls. Ils nous recommandèrent seulement de ne jamais camper sur la rive occidentale, qui était habitée par des Indiens hostiles.