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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/269

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nous. C’est notre constitution, la plus libre de l’Europe, la plus courageuse alors, car l’esprit démocratique y coula à pleins bords, qui, à l’heure de crise où nous sommes, est l’ange gardien de la Belgique ; car, si la Belgique est calme au milieu de l’agitation universelle, c’est qu’aucune liberté venue du dehors n’a pu l’étonner, c’est que sa constitution lui avait donné dès 1831 :

La liberté de la presse, sans cautionnement ;

La liberté d’association, sans limites ;

La liberté de réunion, sans demande d’autorisation ;

La liberté des cultes, sans intervention du pouvoir civil ;

La liberté de l’enseignement, sans examen préalable ;

L’électivité de toutes les fonctions communales et provinciales, de la haute magistrature elle-même.

Le congrès, il est vrai, adopta la monarchie héréditaire avec deux chambres, par 168 voix contre 13 républicaines ; mais à cette monarchie il ne laissa que la nomination à quelques fonctions administratives et son influence personnelle. Voilà le lot de la royauté en Belgique. Cette constitution décréta, en outre, qu’il y aurait un représentant par quarante mille habitans, et que tout Belge était éligible, mais que, pour être électeur, il fallait payer un cens qui varierait, entre les villes et les campagnes, depuis 80 florins jusqu’à 20, dernière limite marquée à la jouissance du droit électoral.

Le parti catholique donna les mains, il faut le dire, à l’établissement de toutes ces larges réformes populaires ; espérait-il, comme on l’en a soupçonné depuis, les faire servir d’instrument à sa puissance ? L’avenir seul devait répondre à cette question ; mais alors on n’avait aucune raison de suspecter la loyauté des hommes qui avaient uni leurs efforts à ceux des libéraux. D’ailleurs le temps était à l’enthousiasme plus qu’à la défiance ; la splendide conquête d’une nationalité rendait en quelque sorte les esprits meilleurs. Il a fallu dix ans d’atteintes patentes et cruelles portées à nos institutions, de la part de l’épiscopat, pour qu’il pût être accusé par tous de vouloir installer la théocratie sur les ruines du pouvoir civil, et pour qu’une résistance unanime, aujourd’hui victorieuse, s’organisât contre lui.

Notre histoire, depuis 1850, peut se diviser en deux périodes : depuis la révolution jusqu’en 1839 ; depuis 1839 jusqu’en 1847.

Pendant la première période, les partis n’avaient nullement le caractère qu’ils ont pris depuis. Le principe de l’ancienne union avait conservé sa puissance. Il y avait moins des libéraux et des catholiques que des hommes du juste-milieu et des hommes du mouvement. Parmi les premiers, on comptait MM. Devaux, Lebeau, Rogier, libéraux, et MM. de Theux, de Merode, Rackem, catholiques. Parmi les autres, on distinguait MM. Gendebien, Defacqz, Robaulx, libéraux, et MM. Brabant, Dubut, Dumortier, catholiques. Les hommes de la modération voulaient avant tout résoudre la question extérieure par la diplomatie et les moyens pacifiques. Les hommes du mouvement voulaient à chaque instant remettre tout l’édifice en jeu, et, au nom de principes absolus, tirer l’épée contre l’Europe entière.

Ce furent les hommes de la modération qui eurent la majorité dans les chambres ; mais leur triomphe entraîna pour le pays des conséquences qui nécessitèrent une lutte de dix années contre l’esprit théocratique. Celui-ci, en effet, profita de sa prépondérance dans le parlement pour envahir la plupart