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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/294

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droit d’un appel à la France, que rien, jusqu’à présent, ne motive sérieusement, et contre lequel leur amour-propre national s’est prononcé trop bruyamment pour qu’ils puissent y revenir sans quelque honte. Les différens corps qui manœuvraient sur les derrières de l’armée autrichienne ont, il est vrai, eu le dessous ; mais l’armée principale, sous les ordres du roi de Sardaigne, a battu l’ennemi toutes les fois qu’elle s’est trouvée aux prises avec lui. Une levée de vingt mille hommes de la réserve, votée par le parlement de Turin, va porter à soixante dix mille le chiffre de cette armée, qui est, après tout, la seule force véritable de l’Italie, et qui, à nombre égal, suffit, si elle est bien dirigée, à battre les Autrichiens. L’ardeur de ces troupes s’est constamment soutenue. Princes, officiers, soldats, ont en mainte rencontre prodigué plus de résolution et de bravoure qu’il n’en fallait pour remporter une victoire décisive. Qu’on donne à cette armée un chef ; que Charles-Albert, obligé de pourvoir au soin de ses états et de fonder son nouveau royaume en même temps qu’il paie de sa personne sur le champ de bataille, mette à sa tête un général blanchi dans la guerre et dont l’expérience puisse lutter avec celle des vieux tacticiens de l’armée impériale : si la jeune armée piémontaise ne le fournit pas, la France ne sera nullement embarrassée pour en désigner un. C’est, à notre avis, le seul secours que l’Italie doive nous demander, c’est la seule manière pour elle d’éviter une intervention que les vrais amis de la cause italienne ne souhaitent nullement, quoi qu’on en puisse dire au-delà des Alpes.

À nos yeux, la gravité de la situation et le péril sont produits moins par les échecs partiels, qui ont si fort alarmé les Italiens, que par la tournure que prennent les affaires à l’intérieur et par cet état général des esprits que nous venons de signaler. Les chances de la guerre sont variables, et il ne serait nullement raisonnable de les calculer à distance, alors que sur les lieux il est si difficile de hasarder de simples conjectures ; mais, ce qui nous paraît un symptôme alarmant, c’est cette espèce d’affaissement de patriotisme qui se manifeste depuis quelque temps au moment où un effort vigoureux serait nécessaire pour chasser l’ennemi et pour constituer une nationalité désormais inattaquable ; c’est surtout la réapparition de ces vieux et incurables défauts du caractère national qu’on eût dû croire modifiés, sinon effacés, après tant de prédications et d’épreuves, et qui, en face du danger, sans attendre même qu’il y eût sécurité, renaissent, chez les Italiens, plus vivaces que jamais. La présomption, la jactance, la satisfaction d’eux-mêmes dans le succès, la défiance de tout ce qui les entoure dans les momens difficiles, et enfin l’abus de la parole et les grandes phrases, sesquipedalia verba, cette plaie invétérée que leur ont léguée leurs ancêtres, voilà ce qui constitue pour eux un péril imminent ; voilà, sans avoir besoin de recourir aux accusations de trahison et d’incapacité, les véritables causes du temps d’arrêt qui s’est produit dans leurs affaires. Les Italiens avaient eu, au mois de mars, un beau mouvement. Ils avaient engagé la partie d’une manière brillante et avec une résolution qui promettait un dénouement rapide et un succès complet. Si les chefs eussent soutenu cet élan et continué la pensée nationale au nom de laquelle s’étaient levées les barricades de Milan, l’ennemi serait déjà chassé du sol italien. Tous les efforts devaient tendre à accroître, à resserrer ce faisceau des volontés et des forces nationales, en écartant avec soin les questions incidentes qui pouvaient introduire des germes de discussion. Le contraire, malheureusement, n’a pas manqué d’arriver. L’ennemi n’avait pas