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servir de terrain et de point de départ à une discussion loyale, indépendante de toute question de personnes et de partis. Force est bien d’ailleurs d’agir ainsi, car, dans le torrent qui nous entraîne, où prendrait-on les personnes pour les attaquer ? Celles d’hier ne sont déjà plus celles d’aujourd’hui ; pendant que nous méditions d’écrire ces lignes, un second coup de vent a balayé la plupart des hommes qu’avait apportés aux affaires le flot de février :

Le flux les apporta, le reflux les emporte.

Le pouvoir presque entièrement renouvelé qui leur a succédé, ce pouvoir dont la France a déjà beaucoup reçu et attend plus encore, n’est sans doute pas engagé dans les reproches que nous allons adresser à celui qu’il a remplacé, et rien ne serait plus injuste que de les faire remonter jusqu’à lui ; mais, aussitôt qu’il aura eu le temps de se reconnaître et d’essuyer la poudre du combat dont il est encore couvert, il ne restera étranger ni aux intérêts que nous allons essayer d’exposer, ni aux devoirs que ces intérêts font naître. Innocent des fautes de ses prédécesseurs, il prend malheureusement avec leur héritage l’obligation de les réparer.

Si l’on veut donc s’enquérir, à un point de vue général, des intérêts qui dominent la politique française depuis cinquante ans et dont on peut demander compte à tous les gouvernemens, on en reconnaîtra assurément deux principaux, le vieil et séculaire intérêt de la puissance de la France en Europe, comme état continental et maritime, celui qui prévalait seul dans les conseils de Richelieu et de Louis XIV ; l’intérêt nouveau du développement des principes libéraux et (si l’on veut) démocratiques, de la liberté politique contre le pouvoir absolu et de l’égalité contre le privilège. Rester, d’une part, une des premières puissances d’Europe, peser dans les destinées du vieux monde à la fois par sa force propre et par des alliances heureusement combinées, tenir en équilibre entre eux les états du continent et l’Angleterre en échec sur les mers ; de l’autre, demeurer l’objet des sympathies de tous les peuples qui aspirent à l’indépendance et se maintenir à la tête du mouvement libéral dont elle a donné le branle, c’est la double face sous laquelle la politique française a dû se présenter successivement à tous ceux qui l’ont dirigée, quelque velléité particulière que leur origine ait pu leur inspirer. Révolutionnaire dans ses débuts, et promenant, comme on l’a dit tant de fois, les idées de 1789, le sabre à la main, à travers le monde, le pouvoir impérial avait cependant fini par rechercher et prôner singulièrement les traditions de Louis XIV. Peu libéral assurément dans ses goûts, le gouvernement de la restauration a cependant toujours été contraint d’appuyer, bien que timidement, en Europe, les tendances constitutionnelles modérées. Pendant les dix-huit