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Washington, — dans ces derniers temps Emerson et Channing. — Comment renouveler les idées ? me demandez-vous. Hélas ! rien de plus ardu au monde, rien de plus difficile. Il y a cependant une route, et une route unique : c’est l’éducation. Elle est détestable, quoique les plus grands esprits aient passé par le ministère de l’instruction publique. Que pouvaient-ils accomplir ? Leur citadelle ministérielle à défendre, leurs discours à prononcer, leur parti à diriger, leur cour à faire au roi, leur cour à faire aux députés et au peuple, ne leur permettaient pas de mettre efficacement la main à l’œuvre. Institués pour peu de temps, entre le prédécesseur et le successeur, forcés de respecter les traditions universitaires, les doctrines philosophiques et les dogmes du clergé, à quoi de profond et de complet, surtout de fécond, pouvaient-ils s’arrêter ? Aussi morcellement, division, amas de connaissances encyclopédiquement incomplètes, éparpillement, néant, voilà le résultat de ces études appelées classiques, et il est certain que la génération qui suit immédiatement celle des hommes aujourd’hui illustres n’a point donné encore de garanties, pas même de promesses. C’est que l’abus effroyable de l’analyse, qui tue l’administration, la littérature et la politique, tue aussi l’éducation. Il ne faudrait rien détruire, il faudrait concentrer les élémens épars. L’analyse est de l’homme, la synthèse est de Dieu. Je voudrais trois universités parallèles au lieu d’une : la vieille université classique, reconstituée sur ses bases les plus sévères et destinée aux professions dites libérales, conduirait aux facultés de la Sorbonne, restreintes ; celle des sciences, ou positive, qui préparerait la jeunesse aux professions de l’ordre positif, aboutirait à l’École polytechnique, et celle des langues et des études modernes, qui formerait des commerçans, des voyageurs, des diplomates, des banquiers, aurait pour couronnement l’école administrative que l’on vient de créer, et qui serait une très bonne institution, si elle avait une base. L’ensemble de ces trois universités composerait la grande université proprement dite, et il serait loisible aux familles de les faire traverser toutes trois par leurs enfans, ou d’en choisir une seule. Est-ce que tous les citoyens sont des Longin, des Cicéron, des Quintilien futurs ? Quel est le banquier ou le diplomate moderne qui a grand besoin de comprendre Lycophron en grec ? Mais nul aujourd’hui ne peut se passer de l’anglais, de l’allemand, même des idiomes Scandinaves. Sur deux mille citoyens, à peine un seul comprend-il une de ces langues ! Quant à la situation respective des nations, quant à la géographie politique, à l’histoire du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, nul ne s’en informe. Faites donc des hommes d’état avec cela ! il est vrai que l’on a espéré récemment greffer les connaissances modernes sur l’arbre classique ; on a compté sur la souveraineté de l’analyse, et l’on a promis de tout apprendre à la malheureuse enfance. Arlequin, qui remue dans sa poche cent petits fragmens