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BEAUX-ARTS.




VÉNUS ANADYOMÈNE. — PORTRAIT DE Mme DE ROTHSCHILD, PAR M. INGRES.




Nous n’avons plus le temps d’avoir du goût, c’est le cas de le dire avec ce bel-esprit employé aux fermes, et qui se désolait de la prosaïque occupation de ses journées. Pour la première fois depuis cinq mois, Paris jouit d’une sorte de repos : Dieu fasse qu’il ne soit pas provisoire ; mais, à travers les tumultes qui se sont succédé et l’anxiété qui dévorait les âmes, qui aurait pu trouver une heure pour les arts, pour les poétiques et exquises récréations ? Comment ne pas croire aussi qu’au milieu de l’orage toutes les voix se fussent éteintes, toutes les harpes brisées, toutes les palettes séchées ? Et n’a-t-on pas quelque peine à se figurer une retraite heureuse jusqu’où le bruit de la rue ne soit pas monté, au fond de laquelle quelque savant obstiné, quelque artiste, doué de cette magnifique indifférence du juste d’Horace, ait continué paisiblement son labeur solitaire, sans se douter que Syracuse était prise ?

Il en est pourtant, bien qu’en petit nombre, et parmi ces derniers, c’est le maître lui-même qui donne un si rare exemple. Insoucieux de l’émeute et de la fusillade, M. Ingres posait, pendant tout ce fracas, une dernière perle sur la chevelure de son Anadyomène, et voilà que depuis quelques jours, suivant l’habitude désormais suivie par l’auteur du Saint Symphorien, les portes de son atelier s’ouvrent discrètement au petit nombre de fidèles qui ne croient. pas que toute poésie soit morte avec la confiance et le crédit. En temps ordinaire, l’annonce de deux nouveaux tableaux du grand artiste était toujours un