Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permet de passer en rovue les savantes ressources que l’expérience de l’artiste a mises au service de cette suave conception de sa jeunesse. On ne sait pas ce qu’il faut le plus admirer, du sentiment tout-à-fait antique ou de la pureté et de la correction également antiques de ce tableau, qui, par un caprice de goût, est enchâssé dans un cadre ovale comme un onyx de la meilleure époque dans une bague d’or.

Passons dans la chambre voisine. Noms voici en face du portrait de la baronne de Rothschild, Nous sommes transportés de la sphère des rêves dans le monde réel, devant la réalité dans sa plus complète expression. Il est bien de n’avoir pas mis côte à côte de ces deux ouvrages si opposée ; ce n’est pas trop des quatre ou cinq pas qui les séparent pour se préparer à une aussi brusque transition.

Le premier aspect de ce portrait cause un peu de surprise. L’œil a besoin de se faire au luxe de tons rouges qui le frappe d’abord ; mais, une fois entré dans cette gamme de couleurs, il ne peut se lasser d’en admirer la précision et la richesse. Le spectateur, captivé par ce coloris inattendu, se reporte par la mémoire aux précédens portraits de l’auteur, dans lesquels la perfection du dessin, l’extrême vérité des altitudes, l’étude des détails poussée à sa dernière limite, avaient suffi, même en l’absence de couleur, à créer des œuvres si remarquables, et, retrouvant ici ces qualités agrandies et complétées, il n’hésite pas à placer cet ouvrage au premier rang. Et de fait le portrait de Mme de Rothschild vaut celui de M. Berlin ; c’est tout dire. Même jet hardi, même ampleur, même puissance. Ce portrait de M. Berlin, si majestueux dans sa forte nature, si fièrement campé sur ses vigoureux poignets, si idéalisé dans son habit noir, sa cravate blanche et ses breloques, a jusqu’à présent été compté, d’une opinion unanime, parmi les plus beaux portraits de l’école moderne ; il ne lui manquait qu’une belle robe rouge de conseiller au parlement. La pauvreté de notre costume avait restreint les moyens de l’artiste ; mais un portrait de femme offrait plus de ressources. M. Ingres, cette fois, pouvait faire de la couleur ; il en a fait avec audace. Il n’est rien de tel que ces dessinateurs, quand ils sont en veine de hardiesses, témoin le Marat de David et cet étonnant portrait de César Borgia qu’on voit à la galerie Borghèse.

Le modèle, assis sur un divan, se présente de face, dans l’attitude d’une causerie attentive, les genoux croisés, la main gauche soutenant légèrement le menton, le bras droit jeté en travers avec abandon et tenant un éventail fermé. La tête est coiffée d’un petit-bord de velours noir, attaché en arrière fit orné de deux plumes blanches qui retombent à droite et à gauche, encadrait une chevelure à reflets bleuâtres comme l’aile du corbeau. Cet arrangement de tête, qui rappelle certains portraits de Van Dyck, fait admirablement ressortir la blancheur du front et des tempes, et le ton plus vif du reste du visage. Deux grands sourcils à l’orientale se dessinent sur ce front, d’une pâte brillante ; dans les yeux, à l’avenant, pétillent la vie et l’esprit. Cette partie est baignée par une lumière abondante et étudiée avec un soin extrême. Évidemment l’artiste a consacré toute son habileté à la mettre en relief et à sauver, par la vivacité de l’expression, l’irrégularité des lignes. Rien de plus doux et de plus intelligent à la fois que ce regard, qui est à coup sur celui d’une femme spirituelle. Comme il s’accorde bien avec le sourire aimable qui relève