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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/479

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rendrait digne de recueillir l’héritage du vice-roi. Toutes ces intrigues, toutes ces vanités, se croisent et se succèdent avec une vivacité pittoresque. Ce qu’il y a ici de brusque, de heurté, n’est pas un prétentieux artifice de composition ; ce n’est que la peinture exacte de cette société espagnole, de ce monde d’aventuriers, de muletiers, de bandits, qui s’agite à Mexico comme dans les comédies de cape et d’épée. Il semble même que l’imagination si franche de M. Sealsfield éprouve quelque scrupule à peindre cette incohérente mascarade. C’est du moins le sentiment qu’il laisse entrevoir vers la fin du premier volume. « Peut-être, dit-il, et nous n’en serons pas étonné, le lecteur aura-t-il souri en lisant les scènes qui précèdent ; peut-être n’y aura-t-il vu autre chose que les éclats d’une fantaisie malade, l’image désordonnée d’une réalité impossible, et qui n’a jamais existé ailleurs que dans les songes du poète. Nous autres Américains, dont les institutions politiques se sont développées d’une manière si conforme à la raison humaine, nous dont les lois, grâce à ce développement logique, sont si solidement établies et si unanimement respectées, nous chez qui le plus pauvre, aussi bien que le plus riche, connaît ses droits avec les limites nécessaires qu’il a consenties lui-même, et met à les maintenir autant de résolution que nos glorieux ancêtres en ont mis à les fonder ; nous enfin dont la vie politique est si grave, comment soupçonner seulement la possibilité d’un si extravagant mélange ? Quoi ! une témérité si enragée et une lâcheté si stupide ! un despotisme si brutal et une anarchie si effrénée ! des prétentions si intolérables et ce lâche abandon des droits les plus sacrés ! Il faut ces influences fatales qui enlèvent à l’homme sa dignité et le rabaissent au rang de la brute, il faut toutes ces misères réunies pour produire de telles scènes et de tels caractères. »

Parmi les belles scènes du livre, je citerai celle où un des soldats d’Hidalgo raconte la vie et la mort de son général. Tandis que les créoles et le vice-roi commencent à lutter sourdement, les patriotes sont en armes autour de Mexico. C’est à travers une insurrection démocratique, c’est au bruit du canon et de la fusillade que s’accomplit dans l’ombre cette révolution de palais. Or, l’auteur nous conduit souvent au camp des insurgés, et c’est là que le muletier Jago raconte tour à tour, avec une pittoresque familiarité ou une énergie terrible, la révolte de 1811, le massacre des patriotes à Guanajuato, et la bizarre biographie du curé mexicain. La révolution au Mexique a commencé par les prêtres ; c’est le bas clergé qui, voyant les évêchés et les bénéfices obstinément envahis par les Espagnols, a soulevé le peuple contre le vice-roi. L’âme de la révolte était le curé Hidalgo. « Ah ! si vous l’aviez vu ! » s’écrie le muletier la voix pleine de larmes et les yeux brillans du feu de la vengeance. Pour moi, après avoir entendu le conteur, je vois d’ici