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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/500

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la vieille femme, et l’ennuyeux Webster, et le pédant, le maître d’école Éverett ; un des adversaires de l’annexion, le colonel Cracker emploie quelques argumens fort peu honorables pour les Texiens. Que ferons-nous, dit-il, de toute cette canaille ? Savez-vous ce que c’est que le Texas ? Un ramas d’aventuriers, des assassins, des bandits, des gens de sac et de corde. Il allait continuer, quand un jeune homme se lève, et, du ton le plus poli, mais le plus décidé, demande au colonel de vouloir bien retirer ses paroles. Ce jeune homme est un Texien, le colonel Morse, l’un des chefs de la guerre de 1836. À ce nom déjà célèbre, le colonel Cracker s’incline et reconnaît avec empressement que le vainqueur de San-Antonio, le défenseur de Velazco et du fort Goliath, est le plus digne gentleman qu’il connaisse. Ce n’est pas assez, dit le colonel Morse ; veuillez rendre le même hommage aux soldats qui étaient avec moi à San-Antonio, à Velazco et au fort Goliath. — Volontiers, dit l’autre en se mordant la lèvre. — Et maintenant, reprend le colonel Morse, je vous accorde, à mon tour, que la canaille ne manque pas dans le Texas et qu’il y a là force brigands et meurtriers ; j’ajoute seulement qu’il n’y en a pas trop, et que ces gens de sac et de corde ont été le salut du pays. — À ce paradoxe étrange, ce sont des cris, des exclamations, un vacarme épouvantable ; mais le colonel Morse soutient résolument sa thèse, et il a de curieuses pièces à l’appui. D’ailleurs on le presse de questions : comment est-il devenu Texien ? Comment l’héritier d’une des premières familles du Maryland a-t-il quitté sa patrie pour se dévouer à la fortune de ces aventuriers ? Le récit du colonel Morse nous introduit dramatiquement dans cette curieuse histoire du Texas.

La prairie de Jacinto est une des plus vastes et des plus touffues parmi les immenses prairies du Nouveau-Monde. Malheur à qui s’égare dans ses hautes herbes ! il fera d’inutiles efforts pour en sortir, et, comme le naufragé qui n’aperçoit ni une voile ni un rocher aux quatre coins de l’horizon, il disparaîtra dans cette mer sans limites. Un jour, pendant un voyage au Texas, le colonel Morse s’engage dans la prairie de Jacinto. Ignorait-il le danger ? se fiait-il à l’intelligence et à l’agilité de son cheval ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il est bientôt perdu dans les savanes. Pendant quatre jours et quatre nuits, le voyageur désespéré s’épuise en efforts infructueux pour trouver une issue ; brisé par la fatigue et la faim, traîné à demi mort par son cheval exténué, il va rouler au fond d’un torrent, quand un homme arrête le cheval, et, avec quelques gouttes de whisky, ranime les forces du cavalier. Ce sauveur inattendu est un homme de mine sombre, aux cheveux en désordre, aux yeux hagards, c’est Bob le meurtrier. Bob est l’habitant de la prairie de Jacinto. Il l’habite, chose étrange ! malgré lui ; il y est enchaîné par une volonté supérieure à la sienne. A l’endroit même où il a sauvé le