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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/535

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se conçoit, du reste, que dans ce genre d’ouvrages dont la variété est l’essence, c’est au milieu de ces élémens divers et épars, — membra disjecta, — qu’il y a un intérêt singulier à aller ressaisir la vraie et in- time nature d’une pensée qu’on voit se multiplier chaque jour, se nourrir de tous les alimens, se prêter à tous ces contrastes qui se succèdent dans la vie littéraire. Étudier un de ces talens qui mettent leur fécondité dans l’exploration critique, c’est s’associer à son travail de recherche curieuse, c’est le suivre dans les routes qu’il a parcourues et éclairées, soit pour divulguer de plus en plus ses découvertes, soit pour rectifier, s’il le faut, ses conjectures ; c’est en même temps remonter à son principe, à ses mobiles les plus cachés. Pour le critique comme pour le poète, en effet, il y a aussi cet ensemble d’influences secrètes et originelles qui laissent une empreinte ineffaçable sur les idées, sur les opinions, et dont la connaissance dévoile tout un côté de l’écrivain, — le côté humain et vivant. Plus que tout autre peut-être, l’auteur du Dix-huitième siècle en Angleterre possède en lui ce fond obscur et inconnu qu’il faut sonder pour replacer sous son vrai jour un tel talent, qui n’est point celui d’un érudit irréprochable, et pourtant déploie un savoir et une sagacité rares ; qui n’est point celui d’un poète, et pourtant a parfois tout l’éclat et l’exubérance de la poésie ; qui n’est point celui d’un humoriste, et pourtant a une veine prononcée d’ironie libre, énergique, et souvent étrange ; où on peut apercevoir enfin bien des contrastes, plus d’une lacune, quelques portions mal liées peut-être, mais qui se distingue par une qualité dominante et essentielle, — une ouverture propre à tout embrasser. Je voudrais avoir la plume de M. Sainte-Beuve, ou celle de M. Chastes lui-même, pour montrer comment ce remarquable esprit est sorti, avec cette trempe et ces habitudes qu’on lui connaît, du sein d’épreuves assez rudes et d’origines un peu confuses. Ce serait une étude psychologique des plus vives, qui toucherait presque au roman et serait cependant de l’histoire, qui éclairerait bien des faits caractéristiques, révélerait un état, des circonstances dont plus d’une nature distinguée a pu recevoir l’impression.

Qu’on imagine, à l’aube du consulat, tandis que les âmes, lasses d’espérer, attristées par la mort, se réfugiaient dans l’admiration d’un soldat victorieux, — qu’on imagine un enfant naissant d’un de ces conventionnels d’opinion entière et inflexible, qui résistaient au mouvement commun, protestaient, ne pouvant autre chose, contre l’usurpation de la gloire, et, réduits au silence, n’ont cessé de rester dans l’empire grandissant, — quelques-uns même jusqu’à nos jours, — comme de formidables et incorruptibles témoins d’une autre époque. Tel a été le berceau de M. Philarète Chastes, telle est la première atmosphère où il a vécu, où il a grandi, et dont l’influence s’est fait sentir sur son développement intellectuel par une série de complications