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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/546

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l’enceinte sacrée. Régnier n’est qu’un écolier libertin, d’une imagination heureuse peut-être, mais pervertie par l’indiscipline. Toute cette verve ardente du XVIe siècle leur est suspecte, de même que les naïfs essais du moyen-âge sont pour eux sans attrait. Ils arrivent ainsi à composer un idéal dépouillé en quelque sorte de ses rayons, dénué de vie, où les qualités exclusives dominent ; et ce qui ajoute à tous les contrastes de notre temps, c’est qu’on a pu voir ces doctrines d’immobilité littéraire professées par plus d’un décidé novateur en politique. Pour d’autres encore, l’esprit français se résume dans cette élégance facile, dans cette vivacité gracieuse, qui charment les étrangers et qui semblent, au premier abord, expliquer naturellement notre renommée universelle et aimable. A leurs yeux, le trait essentiel de notre caractère est cette fleur d’urbanité qui a eu son plus bel éclat dans la société enivrée, oublieuse et déjà condamnée du XVIIIe siècle. C’est ce quelque chose de fin, de léger, de délicat et de subtil, véritable épicuréisme de la pensée, qui reste comme une qualité nationale, qui a toute la force d’une tradition et a régné à plus d’une époque sous le nom de bel-esprit. Plus d’un critique s’est amusé à rechercher dans nos annales littéraires les vestiges de cette tradition spirituelle et raffinée depuis Charles d’Orléans jusqu’aux ruelles parfumées du XVIIIe siècle, où elle disparaît dans la dissolution des mœurs. Fontenelle est le patriarche du genre à son apogée. Pour ceux qui jugent ainsi, Marivaux a plus d’attrait que Molière. La vraie poésie serait la poésie mondaine des Dorat et des Bernis. On oublie que cette royauté du bel-esprit, dans laquelle, aux yeux de certains écrivains, se personnifie l’originalité française, ne représente que quelques-unes de nos qualités les plus légères, les plus fugitives, et que cette vivacité frivole dont on parle n’est qu’un jeu, un caprice, un moyen d’entretenir dans son repos même l’activité de notre nature quand elle manque de plus sérieux alimens. Il en est enfin qui, moins sévères ou moins superficiellement brillans, tracent un cours plus fibre et plus large au génie de la France, en dehors des restrictions systématiques ou de l’atmosphère des salons. Ce qu’ils voient dans l’esprit français, c’est cet ensemble rare de facultés diverses concourant à un même but d’agrandissement, c’est cette sève primitive et féconde qui fermente sans cesse, s’accroît, se propage à travers les siècles comme à travers des saisons également propices. Il n’est point d’époque qu’ils méprisent, point de qualité à laquelle ils s’attachent de préférence et qu’ils s’efforcent de faire prédominer. L’histoire littéraire tout entière est, pour eux, un vaste tableau, d’un intérêt toujours nouveau et puissant ; elle embrasse tous les élémens, même les plus obscurs, qui ont contribué à former la vie traditionnelle de l’esprit français, — cet esprit lumineux et souple, prudent et ouvert en même temps, où l’instinct pratique se mêle à une certaine ardeur enthousiaste, où la