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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/567

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à dire que le droit de travail était un droit royal que le prince pouvait vendre et que les sujets devaient acheter. »

« Nous nous hâtons, dit Louis XVI parlant par la bouche de Turgot, de rejeter une pareille maxime. Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes[1]. »

Voilà les véritables doctrines du XVIIIe siècle. Le travail est la plus noble des propriétés, ou plutôt il est le principe et l’origine même de la propriété. Le droit du travail est donc un droit sacré, et la société elle-même n’a pas le droit de le régler, sinon dans quelques cas très rares ; car, si elle le règle, elle le gêne et le paralyse, témoin les maîtrises et les jurandes. Elles ont commencé par vouloir organiser le travail, elles ont fini par l’asservir et par le détruire.

Émancipée au XVIIIe siècle, l’industrie a eu, de nos jours, ses grandeurs et ses misères. Les deux choses vont ensemble. Jamais elle n’a fait plus de prodiges, jamais, aidée de la science, elle n’a plus hardiment renouvelé le monde matériel ; mais que de fois, dans l’histoire des dieux de l’industrie moderne, Saturne n’a-t-il pas dévoré ses enfans et Jupiter n’a-t-il pas détrôné ses frères ! Sous l’impitoyable aiguillon de la concurrence, l’industrie a marché à pas de géant, sans s’inquiéter de ceux qui tombaient et mouraient sur la route. C’était un beau et curieux spectacle que celui de l’industrie, telle qu’elle était encore hier ou avant-hier. Je ne puis mieux la comparer qu’à quelqu’une de ces vastes machines qu’elle emploie. Il n’y a rien qui ait un mouvement plus régulier et plus magnifique que ces grands appareils. Quel ordre ! quel concert ! quelle merveilleuse harmonie entre tous ces ressorts ! quelle puissance en même temps et quels effets ! Et cependant il suffit du plus petit dérangement, de la plus faible secousse, d’un grain de sable, d’un oubli et d’une négligence momentanée du cornac d’un de ces admirables animaux, il suffit d’un rien pour tout gâter et pour tout détruire. Il en est ainsi de l’industrie elle-même. Vienne une émeute, vienne un tribun ambitieux et heureux qui s’empare du gouvernement, voilà qu’à l’instant même ce grand et merveilleux appareil de l’industrie s’arrête ; plus de mouvement, plus d’action, plus dévie. A la tour de

  1. Je retrouve dans les excellentes Lettres sur l’organisation du travail que M. Michel Chevalier a fait paraître dans le Journal des Débats, et qui viennent d’être recueillies en un volume in-12, « qu’il en coûtait 200 fr. à une fille pour être reçue maîtresse bouquetière à Paris. » La réception de la maîtrise coûtait de même 200 fr. dans la communauté des maîtres jardiniers, 12 à 1,500 fr. pour des métiers plus important, tels que ceux de serrurier, charron, menuisier, pâtissier, etc. Dans les arts plus distingués, il en coûtait souvent plus de 3 à 4,000 livres.