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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/594

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Les deux Flandres sont les deux provinces les plus peuplées de la Belgique ; elles sont aussi les plus riches par le développement de l’agriculture. Cette richesse provient de ce que, outre les travaux du sol, ces provinces s’occupaient encore d’une grande industrie à la fois agricole et manufacturière, celle des lins et des toiles. Pendant plusieurs siècles, l’industrie linière se maintint florissante dans les deux Flandres. Il y avait peu ou point de concurrence étrangère, et chaque fileur comme chaque tisserand, sûr du placement de ses produits, pouvait, au bout d’un certain temps, devenir propriétaire d’un petit morceau de terre. C’est ce qui explique comment la division du sol a été poussée plus loin dans les Flandres que dans le reste du pays, et comment la petite culture y a atteint une rare perfection.

Depuis quelques années cependant, l’industrie flamande a reçu des atteintes profondes. Comme toutes les contrées où des habitudes séculaires ont fini par s’enraciner, les Flandres avaient été d’abord rebelles à toutes les innovations. L’industrie linière avait beau se transformer autour d’elles ; l’Angleterre, la France, le nord de l’Allemagne, avaient beau filer le lin à la mécanique ; les Flandres, comme la Silésie, nièrent la suprématie des nouveaux produits, et ne voulurent point voir le gouffre qui se creusait sous leurs pas. Beaucoup de causes, d’ailleurs, les retinrent dans cette mauvaise voie : la conviction qu’on reviendrait bientôt aux toiles faites avec le fil produit à la main, comme plus solides ; puis divers préjugés, que l’administration routinière et le clergé caressèrent dans de bonnes intentions, je le crois. Quand les Flandres s’éveillèrent de leur torpeur, il était trop tard. Les capitaux aussi avaient manqué aux petits industriels ; l’abîme était creusé, et on l’entrevit à peine, que le découragement s’empara des populations. Les deux années calamiteuses de 1845 et 1846 vinrent mettre le comble à ces malheurs. Pendant deux hivers néfastes, les populations de certaines parties des Flandres furent décimées par la misère et par la mort.

La force des choses n’en avait pas moins contraint quelques hommes à méditer sur cette inconcevable ruine au milieu de contrées si fécondes. La filature à la mécanique s’introduisait enfin dans les Flandres et y faisait des progrès. D’autres industries, dont le tissage était l’élément principal, étaient venues s’y établir, malheureusement aussi avec une lenteur désespérante. Pendant les deux hivers de 1845 et de 1846, les chambres durent venir en aide aux Flandres et mettre à la disposition du gouvernement trois ou quatre millions, pour soulager des misères poignantes et des malheurs sans nom. Cette charité légale n’eut que de mesquins résultats. Soit qu’on distribuât les secours sans discernement, soit que le mal fût invincible, la situation resta déplorable. Le pays tout entier s’émut vivement de cette question, et comme le parti libéral avait incessamment indiqué au gouvernement catholique certains remèdes qui devaient soulager tant d’infortunes, on comprend que, dès l’avènement du ministère Rogier, les libéraux furent mis en demeure par leurs adversaires, comme par leurs adhérens, d’exécuter ce qu’ils avaient toujours recommandé. Le nouveau cabinet avait compris que cette grande tâche serait la première qui lui incomberait, et, pour montrer au pays que les provinces flamandes étaient véritablement l’objet de ses préoccupations principales, il annonça, dans son programme, qu’il faisait de la crise des Flandres une question