Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’éteint, et à tendre en quelque sorte des pièges aux défenseurs de la société ?

Mais quoi ! dira-t-on, faudrait-il donc en revenir à ces nominations individuelles d’un député par arrondissement, si funestes à l’esprit politique d’un pays, si favorables aux intérêts matériels, à la corruption et aux influences locales ? Ces considérations pouvaient avoir quelque valeur il y a six mois, alors que raisonnablement on pouvait craindre que la France ne s’endormît dans sa prospérité ; mais aujourd’hui il faut convenir que ce seraient des inquiétudes bien chimériques. Que l’esprit politique meure en France, de convulsions, cela se peut, — d’inanition et de langueur, il n’y a pas de chances, à voir les moyens violens qu’on met en œuvre pour le réveiller. Les intérêts matériels, la république y a mis bon ordre, et, par égard pour elle, il n’en faut pas parler. La corruption, cela était bon pour faire une révolution ; mais de par la pudeur publique, il est interdit d’en prononcer le nom aux hommes qui, ayant gaspillé en trois mois plus de millions de dépenses inconnues qu’il n’en avait passé en dix-huit ans par les mains du dernier gouvernement, doivent savoir pertinemment que l’on peut se corrompre soi-même au pouvoir, si l’on n’y arrive pas déjà corrompu, mais que l’on ne corrompt pas une grande nation comme on veut. Il faut s’entendre sur ce qu’on appelle les influences locales. Quelles sont-elles, en effet, ces influences dans un pays qui n’a plus, à ma connaissance, ni familles féodales pouvant faire mouvoir des vassaux, ni trésors patrimoniaux pour acheter d’un coup de filet quatre ou cinq mille électeurs ? Oui, sans doute, il en existe encore des influences locales ; oui, sans doute, de canton en canton et d’arrondissement en arrondissement, il y a un ou plusieurs hommes dont le nom fixe l’attention publique, dont les conseils ont du poids, dont la situation domine celle de leurs voisins. Une capacité éprouvée sur place, de longs services rendus à l’état et aux particuliers, l’intelligence des besoins du pays, une fortune honorablement faite ou noblement employée, des souvenirs et des relations de famille, tous ces titres, séparés ou réunis, assurent à de tels hommes, dans leur ville natale, une position comparativement élevée, qui naturellement, et quand aucun artifice légal ne vient à la traverse pour s’y opposer, doit, il est vrai, un jour d’élection, faire pencher en leur faveur la majorité des suffrages. Ce sont en quelque sorte les représentans nés de chaque ville que son choix, quand il est laissé libre, va chercher comme par instinct. Tout cela est modeste comme le vrai mérite, et borné comme le territoire d’un de nos arrondissemens ; mais tout cela se fait de soi-même, sans effort, par la confiance qu’inspire l’homme instruit à l’ignorance, par le patronage qu’exerce la richesse intelligente sur la pauvreté laborieuse. Sans contredit, il vaudrait mieux qu’une assemblée nationale fût recrutée tout entière d’hommes d’état et de génies