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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/697

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ou s’exposer à provoquer un rire de mépris de la part des royalistes, en relâchant le prince après l’avoir enlevé. Ils ne manqueraient pas de dire qu’après s’être rendu coupable d’une étourderie en l’envoyant prendre à Ettenheim, on avait eu peur de l’opinion publique, peur de l’Europe ; qu’en un mot on avait eu la volonté du crime, mais qu’on n’en avait pas eu le courage. Au lieu de les faire rire, il valait mieux les faire trembler[1]. » C’est par de tels sophismes que Napoléon cherchait à étourdir sa conscience au moment de répandre le sang de l’innocent, et c’est ce même Napoléon qui, quelques années plus tard, jugeant sans pitié un acte aussi injuste, mais moins inexplicable que le sien, disait au général Mathieu Dumas, à propos de Salicetti : « Qu’il reste à Naples ! Qu’il sache que je n’ai pas assez de puissance pour défendre du mépris et de l’indignation publique les misérables qui ont voté la mort de Louis XVI[2] ! » — « Combien de tels spectacles, dit avec raison l’éminent historien du consulat et de l’empire, sont propres à confondre l’orgueil de la raison humaine et à enseigner que le plus transcendant génie ne sauve pas des fautes les plus vulgaires, quand on abandonne aux passions, même pour un seul instant, le gouvernement de soi-même. »

Ce qui, à notre avis, confond encore plus l’orgueil de la raison humaine, c’est qu’au milieu de la consternation produite par la nouvelle inattendue du meurtre de Vincennes, au milieu de l’indignation que chacun témoigne à huis-clos et que beaucoup étaleront plus tard, pas une voix ne s’élève pour protester publiquement contre l’attentat ; c’est à qui composera son visage, de crainte que le regard inquiet du maître n’y découvre un blâme secret. Un seul homme, et nous aurions aimé à voir ce souvenir historique se retrouver sous la plume de M. Thiers, un seul homme, M. de Chateaubriand, s’élève au maximum de courage civil compatible avec le temps. Il s’assied à une table, écrit sa démission, et l’envoie. Pendant plusieurs jours, ses amis se succèdent chez lui d’heure en heure pour savoir s’il n’est pas en prison ou fusillé. Triste époque, après tout, malgré l’éclat de ses victoires, malgré ses bienfaits et ses grandeurs, que celle où une démission muette est un .acte d’intrépidité qu’un seul homme a le courage d’oser ! Malheur, trois fois malheur aux excès d’anarchie qui donnent aux hommes un tel besoin de servitude !

Mais l’outrage aux lois éternelles du juste ne reste jamais impuni. Après avoir énuméré toutes les conséquences, directes ou indirectes, de l’attentat de Vincennes qui concoururent à la ruine de Napoléon, l’auteur des Mémoires conclut par ces belles paroles : « Une grave

  1. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. IV, p. 598.
  2. Souvenirs du général Mathieu Dumas, t. III, p. 317.