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comptait des partisans presque avoués, votait cependant à une grande majorité la protestation votée à l’unanimité par la section tchèche contre le partage de la Pologne, et les trois sections décidaient d’un commun accord qu’on supplierait l’empereur d’autoriser l’émigration polonaise à s’établir librement dans tous les pays slaves de la monarchie autrichienne. Les Polonais, d’autre part, se montraient reconnaissans. Ils mettaient de côté les liens étroits qui les attachaient à la fortune des Magyars, et ils s’engageaient à servir la cause des Slovaques, une cause qui touchait au cœur tous les Slaves des deux autres familles. Sans l’affranchissement des Slovaques du nord de la Hongrie, les Tchèches perdaient toute communication avec le reste des Slaves, et les Croates, en guerre avec les Magyars, n’avaient plus de point d’appui ni de diversion contre leurs ennemis. Aussi Tchèches et Illyriens mettaient-ils beaucoup d’ardeur à cette question-là. Dès la première séance du congrès, un prêtre slovaque les appelait au secours de ses compatriotes, dont il dépeignait les maux : « Nous aurons une armée, » s’écria-t-on de toutes parts. Les Polonais obtinrent, par une sage modération, qu’on ajournerait la guerre jusqu’au retour des députés que le congrès ou la diète de Gallicie enverrait à Pesth pour y présenter les justes griefs des Slaves hongrois.

Les Polonais étaient eux-mêmes plus directement intéressés encore dans une complication du même genre. Une grande partie des contrées qu’ils avaient jadis nommées de leur nom ou réunies sous leur loi est habitée par une race slave de langue et de famille différente de la leur. La Gallicie, la Russie méridionale, les gouvernemens de Pultawa, de Kharkow, de Tchernigow et de Kiew, tout le pays des Cosaques, une portion de la Bessarabie et de la Transylvanie, sont peuplés par les Petits-Russiens ou Ruthéniens. Tandis que les Moscovites se sont appliqués sans relâche à persuader aux Ruthéniens qu’ils ne faisaient avec eux qu’une seule et même souche pour arriver à se les assimiler, les Polonais, assis en conquérans sur la terre ruthénienne, ont toujours soigneusement distingué leur nationalité comme étant d’un sang plus noble. De là tous les malheurs du passé, tous ceux du présent : c’est ainsi que les Ruthéniens ont été livrés, depuis le XVIe siècle, aux vexations d’une féodalité de plus en plus despotique ou à la propagande anti-nationale des jésuites ; c’est ainsi qu’en 1846 les agens de l’Autriche et les émissaires de la propagande démagogique ont eu si beau jeu pour éveiller tant de haines en Gallicie ; le mot de Polonais et celui de seigneur sont encore là des synonymes. La Russie aurait pu répandre les mêmes désastres de la mer Noire à la Baltique en provoquant les mêmes antipathies. Les Polonais du congrès slave voulurent enfin rallier les Ruthéniens, et faire pour eux ce qu’ils demandaient aux Magyars pour les Slovaques : ils reconnurent la légitime existence