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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/76

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le font ; mais passé le Caire, comme le costume européen des femmes n’est pas connu, elles sont obligées de s’habiller à la turque. Je t’assure qu’il y a comme cela de fort jolies Turques. »

Ce voyage, fait en compagnie de M. Hugel, dura trois mois. Une dernière lettre que nous allons citer, outre les impressions de l’artiste, contient des détails curieux sur le voyage de l’obélisque de Luxor, avec qui il naviguait de conserve :


18 mai 1833. Baie de Toulon.

« Me voilà enfin de retour dans notre belle France. Je suis arrivé hier dans la matinée sur le Sphinx, bateau à vapeur de l’état qui remorquait l’obélisque de Luxor. Mais à quoi bon être arrivé quand on est condamné à voir cette terre chérie de près sans pouvoir y mettre les pieds, sans pouvoir serrer la main à un compatriote, sans pouvoir aller même au lazaret qu’avec un garde de santé grognard qui a toujours peur que vous communiquiez avec des gens qui se portent peut-être moins bien que vous. Oui, c’est un vrai supplice de Tantale, et d’autant plus grand, qu’on vient d’un pays plus aride et plus éloigné de nos mœurs. J’ai heureusement à qui parler dans les officiers du bâtiment, qui sont de vrais amis pour moi et des jeunes gens charmans pour tout le monde ; j’ai tout ce qu’il faut pour passer la quarantaine gaiement, et cependant !…

« J’étais parti avec le Sphinx dans l’espoir que la traversée serait moins longue et moins fatigante qu’avec un bâtiment marchand. La bonté du bâtiment et l’agrément de l’intérieur me le faisaient penser, mais il était écrit qu’il n’en serait pas ainsi ; il fallait que tout tendit à allonger ce malencontreux voyage. Partis d’Alexandrie par un temps superbe, le 1er mai, nous avons eu, deux jours après, un vent de nord ouest si fort, que ne pouvant plus aller de l’avant, inquiets du Luxor, qui, peu fait pour supporter la mer, paraissait devoir s’engloutir à chaque instant, nous avons laissé porter sur Rhodes, où nous sommes arrivés à bon port malgré un vent très fort et une mer houleuse. Comme le port n’y est pas assez sûr, nous nous sommes réfugiés vis-à-vis, à Marmariza, sur la côte de Caramanie. Là, nous avons attendu que le mauvais temps nous permît de repartir ; puis nous avons fait route sur Navarin, croyant y trouver du charbon pour refaire notre provision, qui commençait à s’épuiser. Un coup de vent nous a forcés de relâcher à Milo, dans l’archipel, d’où nous sommes repartis au bout de deux jours. Arrivés à Navarin, point de charbon ! Obligés d’aller en prendre dans les Iles Ioniennes ! A Zanle, nous en trouvons à peine pour atteindre à Corfou, où enfin nos soutes se sont comblées. Le chargement a duré huit jours, après lesquels nous avons chauffé, et nous voilà arrivés ici avec un temps superbe, arrivés comme