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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/764

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inaperçues pour la commission présidée par M. Schœlcher ; du moins elle ne propose rien pour les résoudre.

L’abolition de l’esclavage, dans nos colonies, est donc une œuvre mal faite et qui doit avoir les plus funestes conséquences. Les lettres que nous apporte le courrier des Antilles ne laissent malheureusement aucun doute à cet égard. A la Martinique et à la Guadeloupe, la classe des hommes de couleur s’est emparée de l’influence qu’exerçait naguère la classe blanche ; elle s’en sert pour entretenir la méfiance chez les nouveaux affranchis contre leurs anciens maîtres ; elle accapare tous les emplois, fait tourner à son profit l’intervention, dans les affaires municipales et dans les luttes électorales, de cette masse d’individus ignorans des droits qui leur ont été conférés. Le choix des commissaires généraux placés à la tête de ces deux colonies ne favorise que trop ce mouvement.

La désorganisation des ateliers est déjà complète. Les affranchis font les plus dures conditions aux propriétaires, et, lorsque ces conditions sont acceptées, ils ne les observent pas. Ils passent des semaines entières sans paraître dans les champs ; quand ils y viennent, ils ne tiennent nul compte des heures de travail qu’ils se sont obligés à fournir, et passent dans le chômage la plus grande partie de la journée. Ils ne se prêtent à aucun service de nuit. Ils réclament impérieusement la révocation des anciens gérans, et imposent au colon, pour administrer son habitation, des hommes de leur choix. Au moindre mécompte qu’ils éprouvent dans leurs extravagantes prétentions, ils se réunissent en masse, parcourent les campagnes, poussent des cris furieux et font trembler leurs anciens maîtres. Dans ces premières joies de la liberté, ils se livrent à tous leurs emportemens et à tous leurs vices ; la débauche et l’oisiveté remplissent leur temps. Ils dépensent à satisfaire leurs mauvais penchans le faible pécule qu’ils ont pu amasser pendant leur captivité. Ils sont sans frein. L’éducation morale et religieuse ne les retient pas, car elle leur manque, et la police, faute d’organisation, est impuissante à réprimer leurs excès.

Dans cet état de choses, la récolte se fait mal ; elle périt en grande partie sur pied, ou, rentrée dans les ateliers, y demeure improductive par l’absence de bras pour la porter au moulin ; les propriétaires désespérés quittent leurs habitations et vont chercher la sécurité aux États-Unis ou dans les colonies espagnoles ; les négocians, réclamant inutilement aux planteurs le remboursement de leurs avances, cessent leurs paiemens, et nos bâtimens marchands pourrissent dans nos rades, ou attendent vainement un fret de retour dans les ports de nos colonies !

Ce tableau n’est pas chargé. Il ne peint qu’imparfaitement la position actuelle de nos établissemens d’outre-mer. Ainsi que nous l’avons dit, rien n’a été fait pour ménager la transition de l’ordre ancien à l’ordre nouveau, et dans cette brusque secousse imprimée à la société coloniale, c’est un bouleversement, non une réforme qu’il faut voir.