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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/958

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puis trop long-temps, un cliquetis d’archaïsmes et un caquetage de faux bonhomme. Quant au fond, il n’y a pas beaucoup à chercher ; c’est tout simplement l’idée très enracinée que la France, pour son bonheur, aurait dû charger Timon tout seul de lui fabriquer sa constitution, voire l’en supplier à genoux. M. de Cormenin, après cette belle campagne, a dû quitter assez brusquement la commission, peu soucieuse de garder un collègue si malin ; il s’est retiré moins à temps et moins volontairement que M. de Lamennais. Singulière époque que celle où ces intelligences orgueilleuses et jalouses viennent à l’envi nous prêcher la fraternité des cœurs, comme si l’on pouvait avoir le cœur fraternel quand on est si fort dépourvu de la fraternité d’esprit ! L’un se retire, l’autre se fait chasser du cercle où l’on prépare la loi de son pays, parce que ni l’un ni l’autre ne trouvent la loi bonne dès qu’elle ne porte pas leur nom. Le misérable amour-propre des gens de lettres a pénétré jusqu’au sommet de l’état. Si quelque chose en France doit achever de corrompre l’état, ce sera ce vice des êtres faibles, cette adulation stérile de chacun pour soi-même.

Un projet de constitution n’est pas assurément le thème qu’il faut pour servir de motif à des variations littéraires. M. Marrast, le rapporteur de la commission, ne s’est pas assez souvenu qu’il avait le droit d’être simple. Le rapport de M. Marrast est un peu comme sa personne, une personne de sens et d’esprit, chez qui malheureusement la recherche gâte plus qu’elle ne sert. Son exposé des vues de la commission est, en somme, suffisamment clair et méthodique ; il y aurait à contester sur certaines données d’histoire et de philosophie générales, qui viennent là trop sensiblement pour le besoin de la cause ; mais l’ancien écrivain du National a eu le bon goût de ne point dire d’injures à la monarchie, et, quoique cette modération ne nous surprenne pas sous sa plume, nous voulons encore nous tenir pour ses obligés. Nous le serions tout-à-fait si, sachant comme il le savait très bien, que le sublime était ici hors de propos, il se fût abstenu d’y viser en surchargeant sa rédaction d’enjolivemens par trop lourds. Qu’est-ce que : Une étoile polaire qui luit au firmament de l’Europe et qui imprègne la boussole de la république d’un nouvel aimant ? Qu’est-ce que : Une machine constitutionnelle qu’un ambitieux aplatit de manière à la faire tenir dans le fourreau de son épée ? Les marquis de Molière ne parlaient pas autrement quand ils parlaient politique. Nous pensons comme Molière ; nous aimons mieux : Si le roi m’avait donné Paris, sa grande ville…

Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.

M. Marrast, à qui la révolution a donné la grande ville, aurait dû, dans sa reconnaissance, trouver quelques accens plus naturels.

Il y a pourtant une raison, et une raison sérieuse, qui fait que M. de Cormenin n’est pas pénétré d’un plus grand respect pour le projet dont il a été l’un des auteurs, le principal auteur, s’il le veut absolument ; une raison qui fait encore que M. Marrast n’est pas doué d’un plus grand bonheur d’expressions, lui d’ordinaire si heureux, quand il faut analyser et divulguer l’esprit d’une œuvre aussi considérable. La raison, la voici : c’est que cette œuvre n’est considérable qu’en apparence. M. Marrast l’a dit lui-même avec beaucoup de justesse : « Le projet n’a la prétention de rien inventer. » C’est un mot de bon aloi qui lui sera venu tout de suite, mais qui, formulé tout de suite, eût été dans le temps très