Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1001

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en valeur vénale, et ils se partagent entre eux, en propriété, en profit, en revenu, l’accroissement annuel du capital national.

Voici cependant comme M. Proudhon dénature un phénomène si naturel. Par cette répartition de profits et de revenus, le principe de Say, dit-il, cesse d’être vrai, « puisque, par l’effet du monopole, le chiffre des prix de vente est de beaucoup supérieur au chiffre des prix de revient. Or, comme c’est cependant le prix de revient qui doit acquitter le prix de vente, puisqu’une nation n’a en réalité d’autre débouché qu’elle-même, il s’ensuit que l’échange, partant la circulation et la vie sont impossibles. » Pour reproduire dans toute sa force l’objection de M. Proudhon, je transcris le passage de son mémoire sur la propriété où il l’a exposée pour la première fois : « En France, vingt millions de travailleurs répandus dans toutes les branches de la science, de l’art et de l’industrie, produisent tout ce qui est utile à la vie de l’homme. La somme de leurs salaires réunis égale par hypothèse 20 milliards ; mais, à cause du bénéfice (produit net et intérêts) avenant aux monopoleurs, la somme des produits doit être payée 25 milliards. Or, comme la nation n’a pas d’autres acheteurs que ses salariés et ses salarians, que ceux-ci ne paient pas pour les autres, et que le prix de vente des marchandises est le même pour tous, il est clair que, pour rendre la circulation possible, le travailleur devrait payer cinq ce dont il n’a reçu que quatre. » Enfin M. Proudhon résume sa théorie en cette formule : l’ouvrier ne peut pas racheter son propre produit !

Il n’y a qu’un homme comme M. Proudhon, blasé sur les contradictions abasourdissantes de l’antinomie et tout offusqué de la passion révolutionnaire, qui ait pu, sans sourciller, affronter l’extravagance d’une pareille conclusion. Ainsi M. Proudhon n’a pas remarqué que, si son objection était vraie, elle ne frapperait pas seulement les profits du capital, les revenus de la propriété, mais elle anéantirait la possibilité même de l’industrie. Si le travailleur est forcé de payer 100 la chose pour laquelle il n’a reçu que 80, si le salaire ne peut racheter dans un produit que la valeur qu’il y a mise, autant dire que le travailleur ne peut rien racheter, que le salaire ne peut rien payer. En effet, dans le prix de revient, il y a toujours quelque chose de plus que le salaire de l’ouvrier, et, dans le prix de vente, quelque chose de plus que le profit de l’entrepreneur : il y a, par exemple, le prix de la matière première, souvent payé à l’étranger. Si M. Proudhon ne se trompe point, quand il n’y aurait plus ni entrepreneur, ni propriétaire, ni capitaliste, quand nous serions tous travailleurs, jamais donc, avec nos salaires, nous ne pourrions payer le prix même de revient. Pourquoi d’ailleurs n’applique-t-il pas dès à présent sa théorie aux entrepreneurs eux-mêmes et ne va-t-il pas jusqu’à soutenir qu’un architecte qui achète une maison se condamne à mourir de faim ? Au premier aspect, le raisonnement