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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1031

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ces entraînemens de la déraison humaine auxquels nous avons assisté, quand on se représente cette facilité prodigieuse avec laquelle un état passe de la liberté jusqu’à la licence, quand on calcule le peu de progrès qu’il y a dans les esprits de cette multitude dont on a rêvé l’avancement, si bien attaché qu’on soit à ses espérances libérales, à sa philosophie politique, on est souvent tenté de donner sa démission de citoyen, et de courir à l’éternel refuge des autorités antiques. De ces découragés et de ces effrayés qui feraient maintenant bon marché de toutes les institutions libres pour un peu de repos et de stabilité, combien n’en trouvera-t-on pas désormais parmi nous ! A ceux-là, surtout, il est bon de montrer la leçon que nous offre spontanément l’Europe. Victorieuses par l’épée, maîtresses absolues chez elles aussitôt qu’elles l’ont sérieusement voulu, les puissances germaniques, dont les événemens de mars avaient précipité le développement constitutionnel en achevant d’ébranler chez elles la monarchie pure, l’Autriche et la Prusse, sont assez sages pour ne point employer leur triomphe à la restauration du vieux principe monarchique. Elles reprennent le progrès, troublé par l’invasion démagogique, à l’endroit même où il avait été interrompu ; elles ont ce grand sens de voir que le vrai moyen de couper court à ces insurrections factices qui ont causé tant de maux, c’est de rendre leurs pentes naturelles aux révolutions légitimes, dont la suite pacifique constitue l’existence des peuples. Telle est, en effet, la position nettement assignée à la royauté des Habsbourg comme à celle des Hohenzollern, par les derniers événemens de Vienne et de Berlin. L’Allemagne, qui semblait à la veille d’une dissolution, est de nouveau couverte par ces deux trônes, maintenant raffermis ; la mission du pouvoir central de Francfort, qui paraissait un moment suppléer à cette double défaillance, devient plus obscure et moins décisive à mesure que cette défaillance se change en une résurrection.

Il fut un temps où il était peut-être permis de penser que la monarchie autrichienne n’avait plus chance de durer beaucoup encore au milieu du mouvement de l’Europe moderne : c’était lorsque la vieille chancellerie, jetant sur toutes les nationalités de l’empire son armée de bureaucrates, enveloppait le pays d’un réseau sous lequel rien ne remuait, excepté les rivalités particulières des races, entretenues tout exprès pour empêcher une agitation plus générale. On pouvait croire alors que ces peuples divers, dans la jalousie qui les animait les uns contre les autres, dans la défiance qui leur rendait suspect le pouvoir commun auquel ils obéissaient, n’attendaient désormais qu’une occasion pour secouer le joug et rompre une unité trop artificielle. On oubliait cependant un sentiment séculaire qui devait prévaloir au moment même du péril et sauver l’empire de la ruine où l’auraient précipité les passions des peuples et les systèmes des cabinets c’était l’amour du nom de l’Autriche, sous lequel tous avaient depuis si long-temps l’habitude de se rallier et de se reconnaître. Pour tant de millions d’hommes de langues et d’origines différentes, l’Autriche n’était pas précisément une patrie ; mais le nom de l’Autriche était un drapeau. L’affection qui s’attachait à cet antique souvenir avait quelque chose de la force morale qui lie le soldat à ses étendards et lui fait suivre leurs destinées. Allemands et Slaves ont compris à l’heure suprême qu’ils restaient une puissance en continuant à s’appeler l’Autriche, et, bien loin de vouloir briser le cadre dans lequel cette puissance s’était développée, ils s’y sont plus serrés que jamais pour le mieux défendre. Le résultat de ces batailles, où l’Autriche avait l’air de se dissoudre, ç’a été de donner à toutes