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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1039

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ne put se faire agréer des esprits obstinés des paysans catholiques. Le respect d’un droit quelconque fut insupportable aux révolutionnaires. Au lieu d’un droit qui eût pesé sur tout le monde, les uns aimèrent mieux conserver des prérogatives sans réalités, les autres une force sans entraves. On a vu ce qui en est résulté.

Les deux ordres d’ennemis qui avaient fait échouer les intentions éclairées de M. Rossi à Lucerne l’attendaient à Rome, lorsqu’il y vint représenter le dernier gouvernement de la France. Les premiers l’abreuvèrent de dégoûts, les seconds ont tranché ses jours par le fer. Quand le cabinet français, inquiet de la vivacité d’un débat qui mettait aux prises deux grandes puissances morales dans le pays, l’église et le corps enseignant, et achevait ainsi d’épuiser les forces de notre société malade, conçut l’idée de recourir à l’intervention pacifique de la cour de Rome, personne n’était plus naturellement désigné que M. Rossi pour une telle mission. Dans le conseil de l’Université, dans les débats de la chambre des pairs, il avait fait preuve d’une mesure qui, à elle seule, dans cette discussion brûlante, était une rareté et un mérite. On n’essaya pas moins de le représenter à Rome comme un incrédule insolent qui venait insulter le pape dans sa cour. Plus d’un Romain qui, hier encore, pointait le canon de la garde civique contre le Quirinal désert se fit alors, auprès de Grégoire XVI, l’interprète de ces calomnies. Peu s’en fallut que le palais pontifical ne fût fermé au ministre de France. M. Rossi franchit hardiment ces obstacles, et, pénétrant jusqu’au pontife, il eut, en quelques jours, par sa conversation insinuante et vive, percé, comme un trait de lumière, les ténèbres dont on environnait à plaisir l’esprit juste, mais étroit, du bon vieillard. Grégoire XVI l’écouta avec une surprise mêlée de plaisir. M. Rossi lui fit entrevoir quelques-unes des conditions de la société nouvelle qu’on lui avait trop laissé ignorer. Le vieux pontife lui en sut gré et l’honora d’une affection qui confondit ses adversaires.

A l’avènement de Pie IX, la scène changea. Un pape jeune, éclairé, dont la vie était pleine de sainteté et l’abord plein de grace, venait occuper le trône pontifical’ et inaugurait son règne par un grand acte de clémence. M. Rossi fut des premiers, non point à lui conseiller cette conduite (Pie IX n’avait pas besoin de conseil et ne prit l’inspiration que dans son coeur), mais à applaudir à sa généreuse détermination et à l’encourager à persévérer dans les voies libérales où il entrait aux acclamations de l’Europe entière. Mais les illusions étaient étrangères à l’esprit exercé de M. Rossi ; il connaissait les hommes de son ancienne patrie, et il prédit, dès le premier jour, les dangers de tout genre dont une si noble tâche allait se trouver entourée. Il crut devoir ne les dissimuler ni au pape ni à l’Italie, et, en mesure de parler haut au nom du gouvernement qu’il représentait, il s’exprima avec une franchise qui (c’est le sort de la vérité) n’eut pas toujours le bonheur de plaire.

Au pape, aux souverains italiens qui, à son exemple, entreprenaient d’opérer eux-mêmes l’affranchissement et la réforme de leurs états, il disait sans relâche : « L’oeuvre que vous abordez est grande et périlleuse ; une administration vieillie ne se réforme pas en un jour ; des paroles de liberté ne tombent pas impunément du haut d’un trône sans aller réveiller ce foyer de passions révolutionnaires qui couve toujours au fond des sociétés. Vous avez promis, mettez-vous à l’œuvre. Dès aujourd’hui faites vos plans, dès demain exécutez-les. Ne laissez pas les esprits errer à l’aventure et soulever toutes les questions au hasard. Guidez vous-mêmes le mouvement que vous avez donné, ou vous serez entraînés