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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/110

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des fainéans, dont les ressorts, amollis par la débauche, ne peuvent plus supporter le joug du travail. Non, ces hommes font nombre pour la plupart dans la classe des propriétaires à 5 francs d’impôt. Courbés sur le carré de terre qui ne reçoit pas d’autre engrais que leur sueur, ils y déploient une énergie inépuisable. Leur tâche étant terminée, ils louent leurs bras à un voisin plus riche qu’eux, « et alors, ajoute M. de Gasparin, ils reprennent les allures nonchalantes des autres ouvriers, et se reposent dans le travail salarié. »

Le bail à rente fixe est sans contredit le plus agréable des placemens pour le propriétaire-capitaliste ; il a cependant ses inconvéniens, à en juger par la maxime suivante : « Voulez-vous avoir des fermiers solvables, commencez par les enrichir. » Dans le métayage, il y a, je le sais, beaucoup de familles anciennes qui se font un devoir de conserver, à l’égard de leurs colons, les mœurs paternelles du vieux temps trop souvent aussi ce sentiment respectable est exploité par le paysan. Le monsieur est-il résolu à faire valoir ses droits, il en résulte entre lui et le colon une irritation sourde qui a pour mesure la gêne qu’ils éprouvent l’un et l’autre ; le titre de monsieur, synonyme de tyran, devient une injure entre métayers. Il y a des contrées qui sont arrivées, à force de misère, à un état voisin de la sauvagerie. « Dans le département des Hautes-Alpes, dit M. Blanqui dans un rapport adressé à l’Académie des sciences morales, on trouve des populations plus éloignées de l’influence française que les îles Marquises. L’importation d’une brouette y produirait autant de sensation qu’une locomotive. » Ces contrées sont devenues inhabitables pour les personnes qui tiennent aux mœurs civilisées. Dans la région des Pyrénées, la tolérance du glanage, du grapillage, a inoculé dans les classes pauvres des habitudes pillardes qui prennent parfois un caractère menaçant pour la propriété. « Malheur à qui ose se plaindre de ces envahissemens ! disent les inspecteurs de l’agriculture dans un rapport officiel ; la vengeance ne tarde pas à se faire sentir ; elle atteint le propriétaire et ceux qui ont dirigé les poursuites : on coupe leurs vignes, on saccage leurs récoltes. Les dommages causés par ces espèces de Vandales deviennent souvent irréparables. » Dans le Nord, les inspecteurs signalent un autre fléau, le mauvais gré. On appelle de ce nom une coalition permanente des fermiers et des locataires qui frappent d’interdit le domaine qu’un propriétaire voudrait reprendre dans l’espoir d’en tirer un parti plus avantageux. Un cultivateur assez audacieux pour braver le mauvais gré aurait à subir des avanies et des déprédations ténébreuses qui le conduiraient tôt ou tard à la ruine. Il faut que le propriétaire subisse la loi du tenancier. Cette infernale coutume, au dire des inspecteurs, était limitée autrefois à quelques cantons de la Picardie et de la Flandre, « mais elle s’infiltre de plus en plus dans les mœurs et