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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/149

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faibles à-compte, l’armement de nos soldats n’avançait pas ; les membres du gouvernement ne parlaient que de leurs embarras pécuniaires, de l’impossibilité d’acheter des fusils, de fournir les équipemens, etc. On parlait souvent dans la ville des mesures étranges auxquelles l’un des secrétaires du gouvernement provisoire avait conseillé de recourir pour se procurer l’argent nécessaire aux paiemens de la fin du mois. Il fallait, disait-il, aller demander cet argent de porte en porte ; et comme on lui objectait que les citoyens ne donneraient pas d’argent et que tout serait dit : « Eh bien ! en ce cas, ajoutait-il, nous nous ferons suivre par une bande de peuple à laquelle nous dénoncerons les récalcitrans. » Les mêmes hommes qui proposaient sérieusement de confier au peuple un si étrange rôle étaient pourtant ceux qui se montraient le plus contraires à son intervention dans les affaires politiques.

Ce fut au milieu de ces agitations que le bruit du mécontentement général de l’armée piémontaise se répandit sourdement dans la ville. Des individus arrivant du quartier-général représentaient le roi comme résistant avec désespoir aux instances de ses lieutenans et de ses soldats, qui exigeaient ou la prompte réunion de la Lombardie au Piémont, ou la conclusion de la paix et le retour au-delà du Tésin. Le roi craignait, ajoutait-on, de ne pouvoir s’opposer sans péril aux résolutions de son peuple, car il n’était plus qu’un prince constitutionnel et se voyait dès-lors forcé de rendre compte aux chambres de sa conduite et de ses actions. L’effet de ces bruits fut, on le devine, de replacer la population lombarde en face d’une question dont elle avait résolu d’ajourner prudemment le débat, pour ne pas se diviser avant la fin de la guerre. L’esprit de dissension reparut dès-lors dans la ville, et les partis s’agitèrent de nouveau.

Les hommes dévoués à l’opinion républicaine, ceux qui voulaient bien accepter Charles-Albert, mais à la condition que telle fût, sans nul doute, la volonté nationale, ceux qui ne considéraient pas le concours du Piémont comme nécessaire à notre triomphe, étaient d’avis de ne prendre aucun souci des plaintes des Piémontais, et de ne rien changer à la détermination sagement prise dès le commencement de la guerre. Ceux qui voyaient dans les rapports arrivés du camp l’expression sincère des sentimens piémontais, et qui n’espéraient pas pouvoir vaincre sans la coopération de Charles-Albert, reprochaient aux républicains de préférer au salut de la patrie le triomphe d’un principe et de ne vouloir ajourner l’union que dans l’espoir de l’empêcher plus tard. De tels reproches chaque jour échangés n’excitaient que trop puissamment l’esprit de discorde. Effrayée du progrès de cette irritation dangereuse, je proposai alors au gouvernement d’ouvrir dans chaque paroisse des registres sur lesquels tous les citoyens seraient appelés à déclarer : 1° quelle forme de gouvernement ils choisissaient ; 2° s’ils