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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/174

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ce n’est pas la langue dorée du poète ou la brusque flatterie du légiste qui donneront à la foule égarée le goût d’un meilleur enseignement en lui inspirant du respect pour de meilleurs maîtres. Sursum corda ; ceignons nos reins, et sortons de ces broussailles du passé. Il s’agit du salut public ; que celui qui veut y travailler se fasse simple avec les autres et sévère avec lui-même.

Le mal de la situation ne se lasse pas, en effet, de reparaître ; les violences comprimées par la victoire de juin recommencent partout en paroles ; puissent-elles ne pas encore se traduire en actions ! Les clubs se rouvrent à Paris ; la présence des magistrats de police semble à peine contenir l’élan des orateurs. Des banquets de mauvais augure ont célébré dans nos villes les plus importantes le jour anniversaire de la fondation de la république. Les hauts fonctionnaires des départemens ont assisté sans dire mot à ces orgies politiques ; ils ont entendu la tête basse les sifflets et les huées dont on saluait l’assemblée nationale et le chef du pouvoir exécutif. Une abominable farandole s’est déployée, musique en avant, dans les rues de Toulouse, hurlant des heures entières : Vive Marat ! et vive la guillotine !

On se rappelle cette coïncidence singulière qui soulevait tantôt une capitale, tantôt une autre en Europe, à l’approche de nos événemens de mai et de juin. Cette agitation européenne s’est encore reproduite dans le milieu de septembre ; elle a fait à Francfort l’explosion sanglante qui déshonore à jamais ses auteurs. Il semblerait, en vérité, que l’émeute était partout à nous attendre. M. Ledru-Rollin n’a pas voulu qu’elle attendit tout-à-fait pour rien ; il a daigné lui jeter en pâture son magnifique discours du Châlet. M. Ledru-Rollin avait convoqué le ban et l’arrière-ban pour fêter à sa manière la commémoration du 22 septembre 1792. Le mot d’ordre de cette commémoration travestie arrivait sans doute de Paris en province ; c’était bien le moins que Paris obéit lui-même à la consigne. M. Ledru-Rollin a célébré la banqueroute dans ce langage pâteux et boursoufflé qu’il prend pour de l’éloquence, parce qu’il amène l’écume aux lèvres. La banqueroute organisée, la vie d’expédiens, la propagande à coups de fusil par toute l’Europe, voilà la révolution et la république, selon la cervelle de M. Ledru-Rollin. C’est traiter la patrie comme un fils de famille traiterait sa fortune, la mangeant à belles dents pour courir ensuite les caravanes. Tout le monde n’aime pas ces habitudes-là. M. Ledru-Rollin avait encore une place sur la scène politique, s’il eût été autre chose qu’un acteur médiocre, luttant contre sa vocation pour s’approprier un rôle qui ne lui va pas. Avec du naturel, il pouvait être un personnage dans un certain ordre d’idées et d’espérances ; mais, malgré ses joues fleuries et sa rondeur de bon vivant, il a prétendu jouer les Dantons ; c’est là ce qui l’a perdu. Le public siffle, parce qu’il ne veut pas croire qu’on soit si méchant quand on se porte si bien. Ce qu’il pardonne le moins, c’est qu’on veuille lui faire peur lorsqu’on n’est pas né terrible.

En face de ces mouvemens inquiétans à cause du fond qu’ils agitent, sinon à cause de la main qui les provoque, en face des symptômes qui nous ont affligés ces derniers jours, quelle a été l’attitude du gouvernement ? Disons-le d’abord à son éloge : ce qu’il y a de douloureux et de grave derrière les déclamations intéressées des ambitieux vulgaires, la souffrance réelle, la misère immédiate ou la ruine accomplie du pauvre, tous ces désastres de la révolution de février reçoivent enfin un commencement de réparation. Par une décision vigoureuse