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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/178

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rable M. de Falloux, dont la position se fait et s’assied chaque jour davantage au sein de l’assemblée. La modération de M. de Falloux a sauvé fort habilement la retraite de M. de Montalembert, et M. Jules Simon, qui prêchait la concorde avec l’accent éloquent d’un cœur jeune, a trouvé du moins à qui tendre la main.

La discussion de l’amendement de M. Duvergier de Hauranne ne devait pas être seulement une passe d’armes comme celle-là. Il a été décidé qu’il n’y aurait qu’une seule chambre dans la constitution républicaine de 1848 : la doctrine des deux chambres aura du moins inscrit, en succombant, un triomphe de plus dans les annales de l’éloquence parlementaire. La cause victorieuse plaisait aux dieux, à tous les dieux du moment, aux dieux furibonds de la montagne, aux dieux muets des bancs ministériels, aux dieux sages de la commission, à M. Dufaure lui-même, dont le rôle n’en est pas moins très remarquable et très beau dans l’œuvre si pénible de cette ingrate édification. Victrix causa diis placuit, mais la cause vaincue, c’était, en vérité, cette fois encore la cause de Caton. Jamais M. Barrot n’avait été si noblement inspiré ; jamais succès de meilleur aloi n’a couronné la loyauté de ses convictions et la magnificence de sa parole. La question n’annonçait pas ce grand dénouement ; on la savait résolue d’avance. M. Antony Thouret s’était appuyé de toute sa force sur une porte ouverte, croyant que c’était lui qui l’enfonçait : il avait débité pour la chambre unique l’apologie la plus abracadabresque et semé sur sa politique toutes les pierreries du romantisme. M. Duvergier de Hauranne avait réuni tous les argumens connus en faveur des deux chambres avec la verve tranchante et précise de son esprit. Tout à coup M. de Lamartine saisit l’occasion qui s’offre à lui. Il va rompre à son tour avec les convives du Châlet ; il va dire ce qu’il pense des extravagances socialistes ; il va peindre, comme il les découvre maintenant, les horreurs de ces doctrines dont il a trop caressé les adeptes. Au nom des périls qu’il proclame et dont il entr’ouvre les profondeurs, il demande une dictature, et, en tant que dictature, une chambre unique. M. de Lamartine frappe sur tout le monde, sur la montagne, sur les utopistes, sur les prétendans, sur les Bonaparte ; il est inspiré, il est heureux, le voilà qui se réhabilite. Ce triste mot de dictature ne choquera donc jamais assez dans notre pays pour embarrasser quiconque saura le mettre au service des passions ou des frayeurs dominantes. La dictature, c’est l’argument dont M. de Lamartine se pare. — La liberté ! répond M. Barrot ; faites-vous la constitution pour un pays de dictature ou pour un pays de liberté ? — Ç’a été l’une des grandes discussions dont nous ayons gardé la mémoire, et nous aurions presque rêvé qu’on nous transportait dans une époque de lumière et de raison, si les clameurs et les insultes dont nos fougueux démocrates ne rougissaient pas de poursuivre M. Barrot ne nous avaient trop rappelé que nous vivions toujours dans ce temps-ci.

Ce temps-ci est un temps de vertige. Contemplez l’agitation qui soulève et qui ensanglante l’Europe ! Partout le calme ou la paix ne sont que provisoires ; c’est la guerre, c’est l’émeute qu’on attend ; par larges places, à travers de vastes territoires, c’est la guerre, c’est l’émeute qui sont en permanence. Seuls, les petits états de l’Occident jouissent d’un repos qu’ils s’appliquent à prolonger et à défendre. La Hollande achève tranquillement la révision de son pacte fondamental ; la Belgique prête sa capitale hospitalière aux continuateurs naïvement opiniâtres de l’abbé de Saint-Pierre ; la Suisse fait de son mieux pour éviter toute occasion