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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/181

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M. DE MARSAN.

Docteur Pierre, au nom de notre vieille amitié, deux mots de raison. Ma femme m’inquiète.

LE DOCTEUR.

Elle en inquiète bien d’autres, par la peste ! La trouves-tu trop jolie ? Je le comprends, mais je n’y puis rien. Ah ! ah ! mon camarade, une jolie femme, c’est bon pendant un an, pendant deux ans ; mais, dès la troisième année, que vous fait la coupe gracieuse de ce visage, que vous importent cette taille, et ce pied, et cette main adorés, admirés et commentés durant une si longue série de lunes ? Si vous aimez désormais quelque chose en cette femme, c’est votre femme, et non la jolie femme. La jolie femme n’est plus qu’un luxe importun, un apanage inquiétant, une enseigne périlleuse qui a son beau côté tourné vers la rue, et dont vous n’avez que le revers ; ce n’est plus qu’un engin à attirer la foudre. C’est ainsi. Que veux-tu ? Au revoir, mon président.

M. DE MARSAN.

Je te dis, Pierre, que ma femme est malade depuis quelques mois.

LE DOCTEUR.

Ah ! depuis quelques mois ? Monsieur de Marsan pourrait-il préciser la date ?

M. DE MARSAN.

Depuis trois mois.

LE DOCTEUR.

Ah ! quelle sottise ! (Il hausse les épaules.) C’est ridicule ! N’avez-vous pas dix ans de mariage ?

M. DE MARSAN.

Oui. Quoi ?

LE DOCTEUR.

Rien ; mais c’est ridicule. Et deux grands garçons en pension ?

M. DE MARSAN.

Sans doute. Ensuite ?

LE DOCTEUR.

Mon Dieu ! que c’est ridicule ! Eh bien ! dame, tu sais, un peu d’exercice à pied, abstinence de mazourke et de cavalcades, des bains, et puis, en fait d’alimens, accorder toutes les horreurs qui nous sembleront appétissantes, telles que potiron cru, blanc d’asperger, croûte de pâté….

M. DE MARSAN.

Es-tu fou, Pierre ?

LE DOCTEUR.

Positivement, mon ami, l’estomac de la femme acquiert dans ces conjonctures une puissance et une élasticité dont la science n’a pu jusqu’à présent déterminer les limites.

M. DE MARSAN.

Eh ! qu’est-ce que cela me fait ? Il n’y a rien de pareil chez nous, Dieu merci !

LE DOCTEUR.

Tant mieux ; mais, dans ce cas, je m’en vais, je suis très pressé.

M. DE MARSAN.

Écoute-moi, Pierre, écoute-moi sérieusement. Depuis trois mois environ, ma femme a un appétit brillant et qui ne se dément point, un pouls régulier et har-