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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/20

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M. Molé qu’eut lieu l’entrevue. La conversation fut intime comme entre personnes qui se connaissaient de longue date, pressée et rapide comme les événemens du temps. « Est-il vrai que vous avez un corps d’armée réuni sur la frontière hollandaise et que vous avez l’intention d’intervenir dans les affaires de Belgique ? — Oui, vraiment. — Mais c’est la guerre. — Comment ! la guerre ? Votre armée française est toute désorganisée ; vous ne sauriez réunir quatre régimens. — N’en croyez rien, répondit M. Molé, vous risqueriez de vous tromper beaucoup ; nous avons de fort bons régimens, qui s’acheminent en ce moment vers le nord. Tenez pour certain que les soldats prussiens ne mettront pas le pied en Hollande sans rencontrer l’armée française entrant par la frontière de Belgique. La guerre, je vous le répète, est au bout de mes paroles ; sachez-le, et mandez-le à votre cour. » M. de Werther se récria, protesta, mais demeura convaincu, au sortir de cette entrevue, que la détermination du gouvernement français était bien arrêtée, et que, le cas échéant, les actes suivraient de près les paroles. Les dépêches de notre chargé d’affaires, M. Mortier, témoignent de la surprise et de la colère qu’excita à Berlin la déclaration du gouvernement français. Le ministre des affaires étrangères de Prusse se laissa aller à de violens accès d’indignation contre les prétentions de notre cabinet de lui lier ainsi les mains. Cependant l’armée prussienne cessa d’avancer. La résolution hardie du ministre de la révolution de juillet préserva la Belgique et ne compromit pas la paix.

Je ne suivrai point les phases si longues des négociations ouvertes à Londres au sujet de la reconnaissance du nouvel état belge. Sans l’assistance que le cabinet anglais nous prêta dans cette question, il ne faut pas douter que les cours du Nord ne se fussent opposées à la dislocation du royaume de Hollande. Beaucoup de bons esprits s’étonnèrent, à cette époque, de voir l’Angleterre, protectrice séculaire de la maison d’Orange, prêter elle-même les mains au dépouillement d’un monarque protestant, dont l’alliance était nationale dans les hautes régions du monde politique de Londres, comme dans les moindres tavernes de la cité. C’était l’opinion bien arrêtée du prince de Talleyrand, que le cabinet tory, présidé alors par le duc de Wellington, pouvait seul prendre la responsabilité du premier consentement, et imposer à l’opinion publique anglaise ce pénible sacrifice, nécessaire au maintien de la paix. À son avis, les ministres whigs n’auraient pas risqué à ce point leur popularité.

Il ne faudrait pas conclure cependant qu’ayant, en cette occasion, si grand intérêt à nous ménager le concours de l’Angleterre, nous n’ayons marché qu’à sa suite, sans oser rien entreprendre par nous-mêmes. Tout le monde sait que la première entrée des troupes fran-