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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/281

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Jellachich est un homme jeune encore, d’une taille plutôt petite ; il a. l’œil vif et martial ; des sourcils épais donnent à sa figure quelque chose de dur. Il a la physionomie mobile et un peu inquiète de la race slave, son attitude se ressent quelquefois de la fatigue que lui imposent ses rudes travaux ; mais la fermeté de son ame le soutient : il croit accomplir une mission sacrée. Des lettres interceptées par les Hongrois ont prouvé ce que nous avions supposé, c’est qu’au début de l’entreprise l’empereur l’avait plutôt désapprouvée. A toutes les défenses de l’empereur, Jellachich répondait avec une constance respectueuse : « Sire, je demande pardon à votre majesté, mais je veux sauver l’empire… Les autres vivront s’ils veulent, quand il sera tombé ; mais moi je ne vivrai pas certainement. » Il y a dans ces paroles une obstination tranquille et dévouée qui se ressent du voisinage et du fatalisme de l’Orient. Chose remarquable, et qui doit faire réfléchir les vieilles races européenne, au moment où s’engage la guerre des nationalités, les trois hommes de l’Autriche, à l’heure qu’il est, Windischgraetz, Radetzky et Jellachich, appartiennent tous les trois à la race slave.

Nous avons conduit ce récit jusqu’aux derniers événemens : c’est la guerre qui se chargera de conclure. Nous avons vu à Pesth l’anarchie et ses crimes, la dictature, le courage toujours ; à Vienne, le gouvernement, incertain d’abord, enhardi par les premiers succès de Jellachich, placé entre une armée jusqu’à présent fidèle et disciplinée et une population divisée qui a déjà fait deux révolutions ; — aux bords de la Drave, de nouvelles races, rudes, à demi barbares, mais énergiques, long-temps oubliées, demandant leur place et entrant dans cette lice confuse de peuples. — De tout cela que sortira-t-il ? Nous ne hasarderons aucune prédiction : nous avons voulu exposer des faits dont l’enchaînement se perdait dans les nouvelles de chaque jour. Nous estimons d’ailleurs que dans le chaos du monde, ce ne serait pas la preuve d’un esprit bien ordonné que de prévoir ce qui arrivera demain :

Fertur equis auriga.


E. DE LANGSDORFF.


P. S. Ces pages s’imprimaient quand arrivait à Paris la nouvelle de la troisième révolution de Vienne. On en lira les détails dans tous les journaux. Une partie du peuple s’est opposée au départ des troupes qu’on envoyait contre les Hongrois, demandant à grands cris un ministère national et la révocation du décret qui avait nommé le ban Jellachich commissaire royal en Hongrie. Une émeute sanglante a éclaté les 5 et 6 octobre ; la garde nationale s’est divisée ; une partie a marché