Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme : sans que leurs écrits aient été lus et étudiés, elles se sont trouvées immédiatement en possession de la notoriété publique.

Est-ce à dire que le socialisme soit bien connu ? Je ne le pense pas. Il reste à l’examiner sur bien des points essentiels. Lorsqu’une doctrine éclate avec cette violence, elle accuse des symptômes graves, et, soit qu’on prétende la condamner sans réserve, soit qu’on espère dégager la part de vérité qu’elle peut contenir, on n’a pas le droit de lui refuser une attention sérieuse. Le socialisme, d’ailleurs, fût-il absolument inique, il suffirait qu’il y eût une seule ame généreuse, un seul esprit d’élite égaré dans ses piéges, pour que le dédain ne fût pas permis. Les théories économiques de nos modernes réformateurs ont été savamment discutées ; il y aurait le même travail à faire sur leur philosophie, sur leur théodicée et leur morale. Le sujet est vaste ; je m’en tiendrai à un problème qui peut en éclairer beaucoup d’autres.

Lorsqu’on cherche les origines du socialisme, on voit sans peine que plusieurs de ces écoles descendent directement de ce matérialisme honteux qui se déclara surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Si Montesquieu fut continué par les hommes de la constituante, si Voltaire et Rousseau eurent leurs héritiers parmi les membres de la convention, c’est à d’Holbach, c’est à Helvétius et à l’abbé Raynal que se rattache l’entreprise de Babeuf. Voltaire se moquait des socialistes dans la charmante pièce des Cabales, et Rousseau, à qui ils empruntèrent la théorie funeste de la bonté native de l’homme, Rousseau, qui passe pour leur maître, écrivit contre eux la profession de foi du vicaire savoyard. Cependant le XVIIIe siècle n’est pas seul responsable de toutes nos utopies ; il en est qui remontent plus haut. Soit prétention frivole, soit calcul réfléchi, certains socialistes se réclament de la tradition lointaine qui va de Platon aux mystiques du moyen-âge, des mystiques à Thomas Münzer et aux anabaptistes, des anabaptistes aux penseurs de la montagne, comme dit M. Louis Blanc. Cette tradition existe, en effet. Il est même facile de voir que nos plus fougueux réformateurs sont quelquefois timides à côté de Platon, et la conclusion qu’on en pourrait tirer ne serait pas très favorable à leur cause. Toutes les erreurs ont leur histoire, une histoire déjà bien vieille, et toujours ces erreurs vont déclinant d’âge en âge. Il n’y a pas long-temps qu’un écrivain de ce parti, ayant fait une prétentieuse histoire de cette tradition dont il est fier, s’attira une spirituelle mercuriale de M. Proudhon : « Je trouve à cela, je vous l’avoue, beaucoup moins de malice que de naïveté. La belle recommandation pour notre cause, je vous prie, de faire savoir à un public imbu des idées de progrès que l’invention faiblit parmi nous à mesure que la civilisation se développe sur sa base propriétaire, et de crier sur les toits, chose vraie du reste, que le socialisme est en décadence depuis Platon et Pythagore ! Vous avez fréquenté le phalanstère,